mercredi 22 juillet 2009

CONVERGENCE TECHNOLOGIQUE, CONVERGENCE JURIDIQUE: OU EN EST HAITI?


1. Si le phénomène de convergence technologique devient une réalité en Haïti, comme partout dans le monde, avec l’arrivée des nouvelles technologies le débat autour de ce phénomène est très rare dans la société haïtienne voire même absent au plan juridique. Or la convergence technologique entraînera sans doute, comme il est le cas pour l’ensemble des technologies de l’information et de la communication (TIC), de réel changement dans le droit haïtien. En attendant que la législation sur les télécommunications soit réformée, il s’agit, dans cet article de mettre en évidence les éléments de convergence qui s’y trouvent.
2. De nos jours, avec la pénétration des nouvelles technologies dans les tous les domaines de la société, on constate une «ascendance de la technique sur la normativité1». En effet, elle «détermine dans une large mesure la possibilité et l’impossibilité des activités véhiculées par les réseaux et elle définit les modalités (les règles de droit) nécessaires... dans le cyberespace2» ou dans les TIC en général. La technique entraîne le droit dans une sorte de course-poursuite puisque celui-ci doit s’adapter en permanence aux évolutions perpétuelles de la technologie. Ainsi, dans la société de l’information les règles de droit, qui sont élaborées, ne font que transposer en langage et catégories juridiques les normes techniques, les restructurations, les nouvelles applications issues des progrès technologiques. Avec les TIC «les règles de droit sont de plus en plus exprimées comme composante du réseau dans lequel elles ne constituent que le relais3». Le droit de la communication audiovisuelle et le droit des télécommunications deviennent les exemples types des transformations apportées par les TIC dans le droit positif. En effet, sous l'influence de la convergence technologique on assiste, aujourd'hui, à une harmonisation des deux branches du droit qui étaient rédigées dans une logique de cloisonnement. En ce qui concerne Haïti la situation parait un peu paradoxal car, en dépit de l’ancienneté de sa législation à la convergence technologique, son système juridique donne une illustration de ce phénomène.
3. En Haïti, les télécommunications tout comme l’audiovisuel, par exemple, sont l’objet d’un régime juridique datant de la fin du XXème siècle. L’analyse de ce régime nous permettra de saisir les différents points de manifestation de la convergence dans le droit haïtien. Ainsi, il sera nécessaire de faire la lumière sur le contenu de cette notion avant de voir le cadre réglementaire des services de télécommunications, la consécration d'une autorité de régulation et les enjeux des prochaines réformes.
I.- La convergence: une notion au contenu indéterminé
4. Terme aux contours variés, la notion de convergence est utilisée partout: Dans la finance avec la rencontre des TIC et de la banque; dans les sciences du vivant avec l’union de la nanotechnologie, la biotechnologie, l’informatique et des sciences cognitives (NBIC). Pour les besoins de cet article nous abordons la convergence dans le sens du rapprochement de l’audiovisuel, des télécommunications et des TIC. Dans cette perspective, elle sera étudiée sous un triple aspect: technique, économique et juridique.
a) La Convergence dans la technique et dans l’économie
5. Au niveau technique, la convergence permise par les TIC s’exprime de multiples façons: la téléphonie sur Internet, la visualisation de son correspondant téléphonique avec le Webcam, le téléchargement des œuvres artistiques et culturelles (film, musique, etc.), la diffusion des médias sur le Web (les médias haïtiens sont, pour la plupart, diffusés sur le réseau Internet), etc. La convergence touche également d’autres objets de la vie quotidienne. Prenons l’exemple du téléphone portable, en plus de téléphoner on peut écouter la radio, faire des photos et de la vidéo, regarder la télévision, lire et envoyer des textes (SMS) et des images (MMS), dans certains cas surfer sur le Web, etc. Le téléphone portable est devenu un véritable ordinateur de poche. Grâce à la numérisation, les réseaux ou les terminaux de télécommunications peuvent distribuer divers types de contenus. En permettant aux réseaux de télécommunications de transporter des contenus audiovisuels, la convergence «remet en cause les frontières communément admises entre les services de télévision ou de radio (diffusés par voie hertzienne ou distribués par câble) et les autres services de communication4» (téléphone, Internet...). Avec la convergence, «la spécialisation des supports a de moins en moins de sens, le réseau habituellement réservé à l’acheminement des programmes de communication audiovisuelle ayant également à transmettre des services de télécommunications, et inversement5». C’est le processus de la «déspécialisation» des réseaux et des terminaux. De tels changements élargissent le champs de la convergence au-delà des questions techniques qui raccordent les contenus audiovisuels aux réseaux de télécommunications.
6. Aujourd’hui la «convergence concerne, de plus en plus, les différents acteurs de la chaîne des valeurs6», dont l’environnement économique est marqué par le jeu de la concurrence. D’une part, sous l’effet d’une concurrence acharnée et pour trouver de nouvelles sources de revenus, certains opérateurs de télécommunications se transforment en éditeurs et distributeurs de contenus. En France, par exemple, l’opérateur historique «France Télécom» a obtenu en 2008 une partie du droit de retransmission des matchs de la ligue de football professionnel et lance sur son réseau son bouquet de télévision «Orange TV». En 2005 les responsables du football en Belgique avaient fait le même choix avec l’opérateur «Belgacom». Aux États-Unis certains opérateurs de télécommunications diffusent des programmes audiovisuels sur leurs réseaux. D’autre part, les médias sont devenus aussi des opérateurs de téléphone. Le groupe de médias «NRJ» commercialise le NRJ mobile en Europe. Plus près d’Haïti dans les Antilles françaises et en Guyane le Trace mobile, sur le réseau DIGICEL, est une offre du groupe de télévision et de radio «TRACE». On pourrait ajouter d’autres exemples à cette liste parce qu’ils sont nombreux dans le monde les opérateurs et les médias à se concurrencer dans l’audiovisuel et les télécommunications.
7. Dans certains pays, sous l’appellation de «triple play», l’Internet haut débit permet aux opérateurs de télécommunications d’offrir dans un seul abonnement l’accès Internet, des bouquets de télévision/radio et de téléphone fixe; de «Muliplay play» avec la combinaison dans la téléphonie du fixe et du mobile. Ces offres intégrées se trouvent, sans aucun doute, dans les projets de la plupart des opérateurs sur le marché haïtien. Déjà le fournisseur d'accès Internet «MULTILINK» se lance, en plus de l'accès au réseau, dans le téléphone sur Internet (VOIP). Les opérateurs «DIGICEL», «VOILA» et «HAITEL» commercialisent le fixe, le mobile et fournissent l’accès à Internet. Ceci illustre parfaitement la convergence de ces services et bientôt le fusionnement des marchés. Il est certain pour préserver leurs parts de marché et d’augmenter leurs profits ces opérateurs vont diversifier leurs offres et multiplier les nouveaux produits au lieu de se lancer dans une guerre de prix vue la taille du marché haïtien. Ainsi, ils joindront à leurs offres de téléphone, en plus de ceux qui existent déjà, toute une gamme de services: télévision/radio, vidéo à la demande (VOD), etc. Cela se fera au détriment des fournisseurs d’accès Internet qui seront absorbés par les opérateurs de téléphone ou disparaître avec leurs seules offres d’Internet comme il fut le cas pour les services de «BIPCOM, DIGICOM», etc. démodés avec l’arrivée du téléphone portable en Haïti. Tous ces bouleversements provoqués par la convergence sur les plans technique et économique soulèvent de nouvelles interrogations, comme celles sur les rapports entre les droits de la communication audiovisuelle et des télécommunications.
b) La convergence dans l’élaboration de la règle de droit
8. Bien avant que la convergence devienne une réalité dans la communication «le mode de production du droit repose sur une logique de mono- fonctionnalité... L’on enregistre donc une sédimentation, des régimes juridiques provoquant un effet de cloisonnement7». Dans le passé, ce droit a été conçu dans le cadre d’une réglementation sectorielle. L’audiovisuel (radio/TV: contenus) et les télécommunications (Téléphonie: réseaux/ contenants/supports) étaient réglementés de manière distincte et séparée. Il y a une dizaine d’années, pour écouter la radio il fallait avoir un récepteur, un téléviseur pour la télévision et le téléphone ne servait qu’à téléphoner. Le droit comme la société qu’il régit ne peut pas se couper de la réalité donc, une législation sectorielle pouvait être justifiée à cette époque.
9. Aujourd’hui, la technologie numérique fait disparaître progressivement les lignes de démarcation entre les industries des contenus et des contenants avec l’interpénétration des moyens de production et diffusion. Ces industries sont en train de converger vers un seul secteur regroupant les divers services de la société de l’information et de la radiodiffusion télévisuelle. Comme le disait Francis Bacon (Novum Organum 1620) «on ne commande à la nature qu’en respectant ses lois». De nos jours, les lois de la nature dans la communication sont influencées par la convergence des technologies. Ce qui entraîne «un changement profond du mode intellectuel de la production du droit de la communication8» et transcende les divisions structurelles classiques fondées sur la distinction des régimes juridiques entre les différents types de réseaux et de services élaborés sur la base d’une spécialisation technique. Dorénavant, l’audiovisuel et les télécommunications ne sont plus réglementés par des cadres juridiques dissociés, mais de plus en plus par «un régime mixte combinant les règles du droit de la communication audiovisuelle et celles des télécommunications, selon que les services qu’elles supportent relèvent de l’un ou de l’autre de ces deux secteurs9». Cet ensemble de règles se recoupe sous le vocable du «droit des communications électroniques10».
10. Si dans la communication la convergence technologique se révèle un phénomène relativement nouveau, mais la convergence du droit de la communication audiovisuelle et du droit des télécommunications existait bien avant dans certains pays notamment en Haïti.
II.- Le cadre réglementaire des services de télécommunications
11. En Haïti, le secteur de la communication est encadré par un régime dualiste où se côtoient les règles de droit commun et celles des droits spécialisés. En témoignent certaines dispositions du code pénal (C.pén.), le droit de la presse (décret-loi du 31juillet 1986) et le droit des télécommunications (décrets-lois du 12 octobre 1977 et du 10 juin 1987). Ces textes de loi, toujours en vigueur, ont été élaborés à un moment où chaque service était attaché à un support de diffusion bien déterminé, c’est-à-dire le temps où l’audiovisuel était techniquement séparé des télécommunications. En dépit de cette séparation, le droit haïtien est marqué dans ce secteur par une étroite liaison entre les règles juridiques relatives aux contenus et aux contenants. Ainsi, les deux branches du droit ont convergé sur un ensemble d’éléments fondamentaux. Tels par exemple: la réglementation des réseaux de communication, le principe de liberté et les dispositions pénales.
a) La réglementation des réseaux
12. La communication a été considérée en Haïti comme un secteur stratégique par là un enjeu de politique majeur pour les gouvernements qui justifiaient sa mise sous monopole d'État dans le décret- loi du 12 octobre 1977. Ce texte a élaboré un cadre juridique harmonisé pour l’ensemble des services de télécommunications. Sans donner de définition, le décret aborde les services de télécommunications dans un sens large regroupant la téléphonie, la radio télédiffusion, etc. En outre, partant de la logique d’harmonisation législative, le décret-loi du 31 juillet 1986 sur le droit de la presse (art. l-2) renvoie au chapitre IV du décret-loi de 1977 pour définir la radiodiffusion et la télévision. Les contours de la notion de télécommunications étant posés dans ledit décret en des termes généraux donc, par une interprétation évolutive et extensive, tous les autres services, Internet en particulier, qui viendront par la suite des bouleversements technologiques, peuvent être classés parmi les services de télécommunications. Lorsqu'il parle des télécommunications comme moyen qui facilite les rapports et échanges de communications, d’information et de civilisation d’intérêt universel, le décret-loi n'établit aucune distinction entre les différents services (téléphone, radio, télévision, etc.). Malgré la spécialisation des supports de diffusion, déjà au niveau de la sémantique, l’ensemble des services était regroupé sous le seul terme de télécommunications.
13. Selon les dispositions du décret de 1977, toute installation de moyens (ou systèmes de télécommunications) est soumise à une autorisation préalable. L’autorisation d’exploitation des services ou des infrastructures de télécommunications est régie par un droit d’usage limité dans le temps. Le renouvellement se fait par tacite reconduction et non par un système d’appel d’offre ou de mise aux enchères des fréquences comme c’est le cas dans certains pays pour des raisons liées à la concurrence et à l’augmentation des recettes fiscales de l’État. Malgré ces éléments de rapprochement les licences d’exploitation sont attribuées par service. Aujourd’hui, on peut se poser la question sur le bien fondé ou l’efficacité de la licence unique ou du contrat par service dans un secteur où un même opérateur peut proposer plusieurs services (fixe, mobile et Internet). Ces services peuvent et vont éventuellement être offerts sur le marché haïtien à partir d’un seul support ou abonnement dans le cadre du triple ou multiplay. C’est aussi le cas dans l’audiovisuel où on assiste à la naissance de groupes de multimédias autour du concept «Radiotélé...»: «CARAÏBES», «GINEN», «METROPOLE», «SOLEIL», etc. Dans l'avenir, sous l'effet conjugués de plusieurs facteurs (convergence, concurrence, etc.) on observera le déplacement de tous les acteurs du marché au-delà leurs professions traditionnelles ce qui donnera une nouvelle configuration au secteur des télécommunications en Haïti. Cela entre dans la logique d’un secteur en pleine mutation et d’une économie qui fait de la liberté le principe de son fonctionnement.
b) Le principe de liberté
14. Marqués par la censure des pouvoirs publics dans l’audiovisuel et organisés sous forme de monopole d'État dans la téléphonie, les services de télécommunications avec la conjonction de plusieurs facteurs ont évolué depuis une vingtaine d’années en Haïti vers un modèle libéral. Ces services se retrouvent sur le terrain de la liberté érigée comme principe et classée parmi les droits fondamentaux dans la constitution de 1987. Le droit de l’audiovisuel renvoie à la liberté d’expression et à la diversité des opinions dans les médias. Celles-ci sont garanties par la constitution (arts.28 à 29.1) et par le décret-loi du 31 juillet 1986 qui définit leurs contenus et leurs limites. Sur le fondement de ces dispositions, la liberté d’expression ne peut faire l’objet d’aucune restriction que dans les cas prescrits par la loi.
15. De son côté, le droit des télécommunications, droit de nature économique, s’inscrit depuis des années dans une logique de marché et non plus de monopole. Dans cette optique, les autorités haïtiennes ont ouvert les télécommunications à la concurrence en signant des contrats d’exploitation de la téléphonie et d’autres services de la société de l’information avec des opérateurs privés (VOILA, DIGICEL, ACN, etc.). Cette politique trouve son fondement dans la constitution de 1987 qui, dans son préambule, fait de la liberté économique11 garantie par l’État (art.245) le modèle d’organisation de la vie des affaires. A cela l’article 250 ajoute qu’«aucun monopole ne peut être établi en faveur de l’État et des collectivités territoriales que dans l’intérêt exclusif de la société. Ce monopole ne peut être cédé à un particulier». Sans abroger le décret-loi de 1977 par une nouvelle loi sur les services de télécommunications, constitutionnellement le monopole de la TELECO ne pouvait plus être maintenu sur le marché haïtien. Un marché dont, les différents services sont également réglementés par le droit pénal en cas d’infractions.
c) Les dispositions pénales
16. En matière de diffamation et délit de presse les dispositions pénales traduisent bien la convergence. Il y a diffamation, injures publiques ou délits de presse lorsque des propos injurieux ont été diffusés dans les lieux publics ou atteinte aux bonnes mœurs et à l’ordre public dans des organes de presse (arts. 313 à 320 C.pén./arts.16, 18, 22 et 23 décret-loi du 31 juillet 1986). Un lieu est public lorsqu’il est ouvert à tout le monde. Qu’en est-il d’Internet?
17. Accessible partout dans le monde, notamment sur le territoire haïtien, à partir de n’importe quel site, Internet peut être considéré comme un lieu public, «l’incarnation la plus tangible à ce jour de l’opinion publique12». En plus, le réseau Internet qui sert de support de diffusion aux médias (Radio, télévision) et à la presse écrite (journal ou tout autre imprimée périodique) n’accuse aucune différence sur le plan pénal avec les supports traditionnels (fréquences hertziennes ou papier). En cas de violation de la loi, la justice ne fera aucune distinction de supports pour punir l’auteur de l’infraction (diffamation ou délit de presse) parce que les résultats sont les mêmes. C’est la même situation pour le droit de réponse (art.19 décret-loi du 31 juillet 1986), la loi reste indifférente aux moyens de diffusion utilisés pourvu que le droit de la victime soit respecté. En matière de convergence la législation haïtienne ne se limitait pas à la réglementation des contenus, mais s’engageait aussi dans une logique d’anticipation du futur en faisant réguler l’audiovisuel et les télécommunications par le même régulateur.
III.- La consécration d'une autorité de régulation
18. Bien avant l’Angleterre en 2003 avec l’«Office of Communications» (OFCOM), après les États-Unis en 1934 «Federal Communication Commission» (FCC) et le Canada en 1968 «Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes» (CRTC), Haïti avait placé l’ensemble des services de télécommunications sous le contrôle d’une seule autorité de régulation: le «Conseil National des Télécommunications» (CONATEL). En effet, selon l’article 1er du décret-loi du 10 juin 1987 portant réforme de son statut, le CONATEL est l’instance publique chargée de la définition et de la conduite de la politique arrêtée par le Gouvernement de la République dans les télécommunications.
a) Le CONATEL: symbole du désengagement de l’État
19. La création d’une autorité de régulation dans les télécommunications, si elle est un acte juridique ou une décision politique, c‘est aussi un choix économique. Ce choix traduit la nouvelle relation que l’État haïtien entretient avec l’économie. Celui-ci adopte «une position d’extériorité par rapport au jeu économique13». C’est le principe de la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation. Principe qui résulte d’une politique de libéralisation et d’ouverture à la concurrence de l’économie. En effet, «Les autorités de régulation participent de cette mouvance de remise en cause de l’État dans le cadre du néo-libéralisme économique. De ce fait, l’idée de confier entièrement les secteurs libéralisés à l’État a été écarté car contraire à l’esprit de régulation qui se veut impartial et objectif14». Ainsi, ne voulant/pouvant plus intervenir directement sur le marché des télécommunications l’État s’efface derrière le CONATEL qui a pour mission de mettre en application les mesures prises par ce dernier dans le cadre de ses attributions et de procéder à la planification, au contrôle et la réglementation des services de télécommunications (art.6 décret-loi juin 1987).
20. Organisme autonome chargé de réguler, d’assurer la promotion et le développement du secteur des télécommunications sur tout le territoire de la République d’Haïti, le CONATEL est investi du pouvoir d’élaborer des normes techniques applicables aux équipements de télécommunications conformément aux caractéristiques et standards internationaux. Il établit également des normes techniques d’exploitation des différents services, assure la coordination technique externe en ce qui concerne les télécommunications, contrôle et évalue les programmes nationaux de formation technique en fonction des besoins. Toujours dans sa mission, le régulateur attribue les fréquences nationales, délivre les licences et les permis d’exploitation des réseaux et des services. Il veille à l’application des prescriptions de la loi sur les télécommunications ainsi que des normes ou caractéristiques établies dans le cadre de la réglementation des services. En plus de ses fonctions spécifiques, le CONATEL exerce des attributions générales de proposition, de consultation, d’information auprès du gouvernement, d’arbitrer les différends dans le secteur, de représenter le pays dans les organismes internationaux spécialisés dans le domaine des télécommunications, de pouvoir de sanctions dans le cas de non respect des règles relatives aux réseaux et contenus des programmes (art. 139 décret-loi 12 oct. 1977). Cette liste de fonctions n’est pas exhaustive on pourrait en ajouter d’autres car du fait de la souplesse du droit de la régulation le régulateur peut avoir d’autres compétences non énoncées dans la loi.
b) Le CONATEL: une autorité de régulation intégrée
21. De caractère «flexible, souple15» le droit dans un système de régulation permet aux acteurs de se libérer de la rigidité, l’uniformité, la verticalité de la règle de droit élaborée par l'État. Dans ce système le contrat devient la figure emblématique de la réglementation. «Le contrat substitut de la loi16», «La régulation des réseaux numériques par le contrat17» des titres parmi des dizaines d’autres qui montrent la place du contrat dans la régulation. Les contrats signés entre le CONATEL et les opérateurs sont des preuves de la contractualisation dans les services de télécommunications (http://www.conatel.gouv.ht/). Dans la plupart des cas, la règle de droit est l’œuvre même de l’autorité de régulation qui l’adapte progressivement aux évolutions du secteur. C’est le cas du CONATEL qui, (art. 6 du décret-loi de 1987), peut procéder à la réglementation des services de télécommunications. Ce pouvoir lui donne la possibilité d’étendre ses champs de compétences à chaque fois qu’un nouveau service se converge vers le secteur régulé ou lorsque de nouvelles problématiques émergent dans les télécommunications. Son pouvoir ne peut pas aller au-delà de son domaine de régulation et peut réglementer à condition que les règles n’existent pas dans le droit commun.
22. Par ailleurs, la libéralisation dans les services de télécommunications oblige le CONATEL de répondre à des questions qui ne se posaient sous le régime de monopole: des questions relatives à la concurrence. Afin d’assurer le développement des infrastructures et des services dans les télécommunications (art.3 du décret-loi 1987), le CONATEL veille à ce que les règles du jeu soient respectées à savoir: l’égalité d’accès au marché et aux ressources essentielles dans des conditions transparentes, l’impartialité dans ses décisions, la concurrence loyale, la qualité des services, l’interconnexion des réseaux, la protection des consommateurs, le maintient du service universel, etc. Dans l’audiovisuel le bon fonctionnement des services implique, en prenant en compte certaines dispositions du décret-loi de 1977, l’allocation des fréquences sur des bases équitables, la garantie de l’indépendance des médias, l’objectivité et la liberté de l’information. Il requiert également la promotion de la culture nationale, le respect de la morale et l’ordre public dans les émissions. Enfin, l’autorité de régulation doit surveiller à la qualité et à la diversité des programmes. De ce fait, on peut considérer le CONATEL non seulement comme un régulateur de contenants ou de réseaux mais aussi comme un régulateur de contenus et responsable de la concurrence sectorielle, c’est- à- dire une autorité de régulation intégrée. Une autorité qui, malgré tout, devrait être réformée car le secteur des services de télécommunications a connu durant ces dernières années de profondes transformations. Donc, il serait mieux de s’interroger sur les enjeux des réformes à venir?
IV.- Les enjeux des prochaines réformes
23. L’intérêt de toute nouvelle réforme serait de faire du CONATEL un organisme plus intégré en lui donnant plus de pouvoir en matière de régulation de contenus. Vouloir séparer la législation et la régulation des contenus de celle des contenants comme le préconise l’article 3-2 du projet de loi de février 2008 du Ministère des Travaux Publics, Transports et Communication (MTPTC) constitue une régression, une décision qui ne va pas dans le sens des évolutions dans le secteur. Le bien-fondé d’une institution réside dans l’adéquation qui doit être la sienne au secteur sur lequel elle exerce ses compétences. Il est tout fait normal dans la définition de ses champs de compétences de prendre en considération les particularités du secteur en question.
24. La tendance actuelle est à la fusion des autorités de régulation de l’audiovisuel et des télécommunications car la distinction entre les contenus et les contenants ne fait pas de poids devant la convergence des technologies. «A l'heure de la numérisation et de la convergence, les acteurs des contenus et des tuyaux (réseaux) sont condamnés à travailler ensemble. Aujourd’hui l’ADSL, demain la fibre et les réseaux à très haut débit mobile. Le poids des réseaux télécoms dans la diffusion de la télévision payante (des contenus en général) ne devrait pas cesser de s’accroître18». Aujourd’hui, quelques pays maintiennent encore deux autorités de régulation dans les communications électroniques. On peut citer le cas de la France où la mise en question de cette double structure, pour le moins dépassé, commence à se faire entendre. L’existence de deux autorités de régulation pour les réseaux de télécommunications et les services associés est susceptible d’engendrer des chevauchements de compétences, des incertitudes juridiques et d'incohérences politiques.
25. Dans un souci de sécurité juridique, de clarté et d’efficacité, la décision est de maintenir une seule autorité de régulation. En effet, la convergence technologique conduit à reconnaître que la fonction du régulateur (CONATEL) déborde les clivages traditionnels entre l'audiovisuel et les télécommunications. Donc, la connaissance du fonctionnement des réseaux est devenue indispensable pour mieux réguler les services audiovisuels, comprendre la nature et la portée des bouleversements technologiques. Ce savoir-faire est essentiel pour un régulateur car les médias sont en train de basculer dans le tout numérique avec la télévision numérique terrestre (TNT) et la télévision mobile personnelle (TMP). La TNT est déjà mise en service dans certains pays d’Asie et d’Europe, particulièrement en France depuis 2005 où la fin de la diffusion analogique est prévue pour 2011. Le lancement de la radio numérique terrestre (RMT) est fixé pour la fin 2009. Aux États-Unis le passage définitif au numérique est programmé pour l’année 2009. Dans ces pays, les fréquences libérées après l’extinction de la diffusion hertzienne analogique sont réclamées par les opérateurs de télécommunications et les moteurs de recherche. C’est le problème de la répartition de la «dividende numérique», objet de réflexion dans chaque État sur la mise en place d’un plan national de réaffectation des fréquences. En ce qui concerne Haïti, elle ne pourra pas s’échapper à ces mutations technologiques qui sont inhérentes au développement des médias haïtiens qui, tôt ou tard, prendront le chemin de la diffusion en numérique et en haute définition (HD). La note du CONATEL (29/12/2009) qualifie d'impératif la transition vers le numérique.
26. D’un autre côté, cette volonté de séparation suscite un certain nombre de questions. En effet, comment sanctionner les atteintes graves aux réglementations, renouveler la licence, prolonger le contrat d’un opérateur/médias si le régulateur haïtien n'a pas de pouvoir de contrôle sur les programmes produits ou diffusés par celui-ci? Comment pourra-t-il exercer ses fonctions dans un environnement où les concurrents seront les mêmes dans l’audiovisuel et les télécommunications du fait de la convergence technologique?
Conclusion
27. La convergence technologique a apporté dans les services de télécommunications une nouvelle organisation. L’audiovisuel et les télécommunications, qui évoluaient dans des technologies différentes, se convergent vers les mêmes plates-formes de transmission et de diffusion. La convergence met un terme à ce long rapport de dépendance entre un support et un service donné. Elle marque aussi la fin du régime juridique instituant des législations séparées et des autorités de régulation distinctes entre les contenants et les contenus.
28. Si dans son état actuel, le droit haïtien sur les services de télécommunications n’empêche pas au CONATEL d’exercer sa mission dans le cadre des nouvelles données technologiques et structurelles apportées par la convergence, mais n’est tout à fait adapter aux besoins du moment. Prenons en exemple, la frontière maintenue entre l’audiovisuel et les télécommunications sur la base des supports utilisés. Alors que la convergence fait disparaître cette frontière et exige la mise en place d’un système d’autorisation couvrant les services comparables quelle que soit la technologie utilisée. On peut citer aussi l’absence de réponse de la réglementation sur les radios et télévisions diffusées exclusivement sur Internet.
29. Bref, pour faire face aux nouveaux défis posés par la convergence l’idée est, certes, de réformer la législation actuelle sur les télécommunications. Toutefois une réforme réduite à ce seul secteur serait insignifiante par rapport à ce que représentent les TIC aujourd’hui et de la place qu’elles tendent à occuper dans la société de demain. Pour être efficace, encore faut-il que tout projet de réforme soit inscrit dans un cadre allant au-delà des services de télécommunications. Par exemple, en matière de concurrence quelle sera la valeur d’un droit spécifique aux communications électroniques si au niveau national il n’y a pas un droit commun de la concurrence interdisant les monopoles, les concentrations, les ententes et les abus de position dominante. Il en est de même pour la protection des consommateurs, une loi aura d’effet que s’il existe un droit général de la consommation avec une déclinaison dans les communications électroniques. Par ailleurs, la reforme serait insuffisante si elle ne touchait pas les autres secteurs qui utilisent les TIC comme moyens supplémentaires ou canaux de distribution. Dans le commerce électronique, le besoin d’une loi-cadre se fait sentir pour organiser les différentes sphères des activités économiques en ligne (signature électronique, paiement en ligne, etc.). On peut dire autant pour les droits d’auteurs (musique, cinéma, etc.) dont l’Internet constitue l’un des vecteurs de diffusion. La lutte contre la cybercriminalité, la protection des données à caractère personnel et la vie privée des citoyens sont également des secteurs qui doivent être inclus dans un projet de réforme.
Blair CHERY
Juriste, doctorant
Université des Sciences Sociales de Toulouse


Références bibliographiques
1.-LABBÉ Eric: La technique dans la sphère de la normativité: aperçu d’un autre mode de régulation autonome, in Juriscom.net, novembre 2000, §7. www.juriscom.net
2.-SCHULTZ Thomas: Réguler le commerce électronique par la résolution des litiges en ligne; éd. Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris: 2005, pp. 123-124
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4.-TRUDEL Pierre: L’influence d’Internet sur la production du droit, In Le droit international de l’Internet (dir.) CHATILLON Georges ; éd., Bruylant, Bruxelles : 2003, p. 101
5.- SEMIER Rémi et EMRICH Alexander: Les enjeux du streaming, Petites Affiches- 14 mai 2005-N° 96, p.13
6.- RAPP Lucien: Lamy droit de l’informatique et des réseaux, éd. Lamy, Paris : 2008, p. 957
7.- MARTIN Jean: Convergence numérique : un droit spécifique de l’information ? In, Legicom N° 40- 2007/4, p. 46
8.- MARTIN Jean: op., cit. P. 45
9.- RAPP Lucien: op., cit. p. 1014
10.- TABAKA Benoît: Éclaircissement autour des définitions des communications électroniques, in Revue Lamy droit de l’immatériel no 17-06-2006. Voir aussi le projet de loi sur les télécommunications en Haïti (fév. 2008)
www.mtptc.gouv.ht
11.- Dans leur diversité, les libertés économiques recouvrent plusieurs libertés : essentiellement la liberté du commerce et de l’industrie et celle de la concurrence MALAURIE Philippe: Réglementations contraignantes et libertés économiques éd. Larcier, Paris: 2007, p. 130, in «Le marché et l’Etat à l’heure de la mondialisation» (dir.) THIRION Nicolas
12.- LOVELUCK Benjamin: Internet, vers une démocratie radicale, in «Le débat »no 151, Paris: sept.- oct. 2008, p.151
13.- CHEVALLIER, Jacques: Le modèle politique du contrat dans les nouvelles conceptions des régulations économiques, in «Les engagements dans les systèmes de régulation»; Ed. Dalloz, Paris: 2006, p 145.
14.-MOMO Claude: La régulation économique au Cameroun,Revue de la recherche juridique;Aix-en-Provence:2007-2,p 968
15.- Pour construire et maintenir des équilibres dans des secteurs régulés il faut poser des règles de jeu plus ou moins précises,plus ou moins évolutives, in FRISON-ROCHE Marie-Anne: Le droit de la régulation, Dalloz,2001, no7,Chron. p.613
16.- VIVANT Michel in «Mélanges en l’honneur du Pr. Michel GUIBAL» Montpellier :2006, pp. 595-604.
17.- ASSOKO Héraclès Mayé: Thèse soutenue en 2006 à L’Université des Sciences Sociales (Toulouse) et publiée en 2008
18.- La lettre de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) de France No 63 septembre/ octobre 2008.

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