jeudi 6 novembre 2014

Le système bancaire haïtien: du cloisonnement au décloisonnement

Plus de deux ans après sa publication, l’actualité dans les médias a presque passé sous silence la loi sur les banques et les autres institutions financières en Haïti. Pourtant, il s’agit d’une réforme structurante qui modifie le paysage bancaire et financier haïtien et par voie de conséquence agit sur l’économie nationale au sein de laquelle les banques jouent un rôle majeur dans la réception des fonds, le financement des activités, etc. Depuis la loi du 17 août 1979 jusqu’à celle du 14 mai 2012 trois décennies se sont écoulées, il est naturel de réfléchir sur le chemin parcouru par le système bancaire. 

 1. Sous l’influence d’un ensemble de facteurs (économique, juridique, technique), le système bancaire haïtien s’est profondément modifié au cours des trois dernières décennies. Cette transformation a entraîne une mutation dans l’organisation de son tissu industriel. En effet, en plus de leurs activités traditionnelles, les banques ont élargi leurs champs d’activités en ajoutant à leurs services de nouvelles gammes de produits (assurance, transfert d’argent, microcrédits, …). Au même moment, l’ampleur des changements et la crise qui ont touché les industries bancaires et financières au niveau international ont animé, dans certains pays, les débats et poussent leurs gouvernements à faire des réformes.
 2. Afin de réduire les risques de faillite et de renforcer la réglementation et la supervision bancaire, plusieurs pays se sont engagés depuis la crise financière de 2008 sur la voie de la réforme bancaire. Citons les exemples des États-Unis suite à la règle Volcker (1), de la Grande-Bretagne après les conclusions de la commission Vickers (2), de l’Europe en particulier la France avec le rapport Liikanen (3). Haïti a, certes, subi les méfais de la crise financière internationale comme tous les autres pays, mais la réforme de son système bancaire ne s’est pas opérée dans la même perspective car les banques haïtiennes n’étaient pas menacées de faillite.
 3. La loi du 14 mai 2012 publiée dans le « Le Moniteur » du 20 juillet répond en effet à l’évolution du système bancaire régit jusque-là par le décret du 14 novembre 1980 devenue inadaptée aux nouvelles données. Cette loi, aux contours élargis avec l’intégration des autres institutions financières dans le champ de compétence de la Banque de République d’Haïti (BRH), la prise en compte des opérations sur les réseaux numériques, etc., s’inscrit dans la logique du droit bancaire qui « se caractérise par son évolution permanente. En effet, ce droit régissant une activité économique sujette à des innovations constantes (4)». La réglementation est le reflet des changements qui ont eu lieu dans ce secteur.
  4. Le système bancaire haïtien connaît depuis le début des années 1980 des changements considérables. Au cours de ces trois décennies: une réglementation de plus en plus souple, la fin du principe de spécialisation, l'utilisation des nouvelles technologies et l'évolution de la régulation sont, entre autres, les facteurs qui ont accompagné le mouvement de transformation des banques, tant du point de vue de leurs structures que de leurs activités.
    
I.- De la rigidité à la souplesse
 5. Avant la loi du 15 juillet 1974 remplacée par celle du 6 septembre 1984 sur la création et le fonctionnement des banques d’épargne et de logement (BEL), les activités bancaires en Haïti  étaient soumises en règle générale au régime de droit commun. À la suite de la crise financière internationale dans les années 1970, un droit spécifique a supplanté le droit commun dans le paysage bancaire haïtien. Depuis, ce secteur est assujetti à une réglementation sectorielle. En fait, il s’agissait du premier pas vers la libéralisation et de la mise en place d’une régulation sectorielle consistant à libérer les activités de contraintes de toutes sortes, notamment des contraintes étatiques.
 6. L’évolution dans le système a été faite sous l’impulsion de la loi du 17 août 1979 qui a procédé à la réorganisation du secteur bancaire avec l'intégration des mécanismes de régulation. Au terme de cette loi est créé un organisme public autonome, la BRH, jouant à la fois les rôles de banque centrale en déterminant conjointement avec le Ministère de l’Économie et des Finances la politique monétaire nationale (5) et, d’autorité de régulation en assurant la surveillance et le contrôle du système bancaire (6). À l’instar de ses collègues étrangers, comme régulateur, la BRH est dotée de pouvoirs de réglementation, de sanction, etc.
             7. Par la suite, d’autres textes sont venus réglementer le secteur bancaire au cours de cette période. C'est le cas du décret du 14 novembre 1980 sur le fonctionnement des banques et des activités bancaires. Ce texte (art 2) distingue les différentes catégories de banque (commerciales, d’affaires et d’épargne) et établit une séparation dans leurs champs d’activités (arts 5 à 8). Tout au long de ses 132 (cent trente-deux) articles, ce décret-loi définit les divers types d’activités constitutives d’opérations de banque, les conditions d’octroi de la licence bancaire, etc. De son côté, la loi du 6 septembre 1984 dont l’objectif était de préciser le statut et rénover le cadre institutionnel relatifs aux BEL a complété le dispositif sur le fonctionnement des banques.  
8. Enfin, il faut ajouter à ces textes de lois toutes les autres dispositions de nature législative, conventionnelle, réglementaire, de sources nationales et internationales. Citons la loi de mai 1995 sur la libéralisation du taux d’intérêt, la loi du 21 février sur le blanchiment d'argent, les conventions de Bâle, etc. Soulignons également les actes pris par la BRH (7) dans le cadre de son pouvoir réglementaire: la décision du 16 septembre 1996 sur la libéralisation du taux de change, le cadre de surveillance des établissements bancaires (octobre 1997), la circulaire no 92 relative à la surveillance des opérations des banques (avril 1998), le cadre de surveillance sur la supervision bancaire et les normes prudentielles, etc.
             9. La loi du 17 août 1979 et les autres textes adoptés postérieurement ont permis à la BRH d’assurer la sécurité des déposants, de prévenir ou réduire les risques, de garantir la stabilité des établissements financiers et le bon fonctionnement du système bancaire. Cependant, à la base de tous ces dispositifs, même avec un régime de restriction catégorielle pour les banques, se trouve la volonté de mettre en place un processus de libéralisation contrôlé du système bancaire.
10. Cette libéralisation aboutit à un mouvement de suppression de fait des frontières géographiques et l’élargissement du champ d’activités des institutions bancaires même quand la distinction juridique entre les différentes catégories de banques restait encore en vigueur. La flexibilité dont font preuve ces dispositions se traduit par une réglementation de plus en plus souple avec pour conséquence la fin de la spécialisation dans l'exercice des activités bancaires et financières.

II.- La fin du principe de spécialisation
            11. Au fil des années, la rigueur de la réglementation s’est considérablement atténuée, en droit et en pratique. Cette souplesse s’est manifestée, par exemple, avec la possibilité donnée aux institutions bancaires de prendre des participations croisées dans des établissements de crédits (8). Les banques ont largement profité de celle-ci pour développer une stratégie d’intégration avec la constitution de groupe comprenant des filiales spécialisées dans les activités économiques, financières, immobilières, etc. La Société Générale Haïtienne de Banque (SOGEBANK) (9) intègre toutes ses filiales au sein du groupe SOGEBANK. La Universal Bank (UNIBANK) (10), est à la fois la société mère et l’entreprise premium du Groupe Financier National.
            12. Si la réception de fonds du public et l’octroi de crédits demeurent l’essentiel des activités des banques haïtiennes, l’intégration dans une structure de groupe par la possession de nombreuses filiales a contribué à augmenter la gamme des services, élargir le champ d’activités des banques et assurer leurs rentabilités. Dans ces conditions, on pouvait se demander si la distinction entre les différentes catégories de banques (commerciales, d’affaires et d’épargne) ne s’estompait pas progressivement et définitivement.
13. Une première réponse à cette interrogation est donnée par le décret-loi du 23 novembre 2005 portant réforme au statut de la Banque Nationale de crédit (BNC). Ce texte a fait évoluer la BNC passant du statut de banque commerciale avec toutes les restrictions que cela comporte dans le décret du 14 novembre 1980 en une banque à caractère universel (art. 1). Comme banque universelle, la BNC est habilitée à traiter l’ensemble des activités susceptibles d’exercer par les établissements bancaires, financiers, etc. L’illustration vient du choix de la BNC de renter dans la bancassurance en 2008. En plus d’être une banque commerciale de type classique, cette banque publique est aussi assureur, agent payeur, etc. Elle peut exercer directement les métiers dans les domaines bancaire, financier, etc. sans obliger de filialiser ses services.
14. De son côté, la loi du 14 mai 2012 est venue sonner le glas de la séparation des banques (Glass-steagall act de 1933 abrogé par exemple en 1999 aux États-Unis) en établissant un cadre commun d’exercice des activités bancaires et financières. Ce faisant, le législateur haïtien a consacré aux termes de cette loi la notion de banque universelle (Universal Banking). Un système dans lequel les banques offrent un large éventail de services financiers, y compris les services commerciaux et les investissements. Ce modèle d’organisation est moins fréquent aux États-Unis qu’en Europe.
 15. Le modèle adopté en Haïti ne comporte aucune restriction quant au périmètre d’activités. En effet, selon l’article 4, les banques peuvent effectuer, sans s’y limiter, les opérations connexes à leurs activités. En plus de leur profession habituelle (réception des fonds du public, etc.), elles sont autorisées à proposer l’ensemble des produits et services financiers sur le marché comme l’affacturage, la gestion du patrimoine, l’assurance, la conservation et l’administration de valeurs mobilières, le transfert d’argent, l’ingénierie financière, des activités propres à d’autres acteurs du système financier, etc.
   16. Il s’ensuit que si les banques devenues universelles peuvent offrir une gamme complète de services à la clientèle, elles ne sont pas les seules à bénéficier de la fin des restrictions sur certains produits financiers. N’ayant pas en effet le statut de banque, les coopératives et les caisses populaires reçoivent également des dépôts et font des prêts à la clientèle. Il en est de  même pour les moyens de paiement, les opérations de placement, le transfert d'argent. L'achat, la gestion et la vente de créances sont aussi concernés par cette concurrence. Sur ces segments de marché, les banques sont concurrencées par les sociétés de cartes de crédit, les sociétés d'affacturage, les sociétés de crédit (11), les opérateurs de communications électroniques avec les services mobiles de paiement (12)  sur le téléphone portable. 

 III.- L'utilisation des nouvelles technologies   
             17. Depuis les années 1980, les banques haïtiennes se sont engagées dans des investissements importants en matière d’équipement, de matériels informatiques, de logiciels de gestion pour le traitement les données, etc. Ces investissements, en plus de favoriser la gestion interne dans les banques avec l’informatisation des données, ont servi également à la constitution des réseaux de communication. Ainsi, les systèmes de communication au sein des banques sont passés d’un  réseau d’échanges internes entre les différents points de service, à un réseau de communication d’échanges interbancaires, puis en un support de communication entre elles et leurs clients. 
 18. Avant la mise en place du premier site transactionnel en 2001 par la UNIBANK,  les sites Internet des banques haïtiennes se limitaient à une simple fenêtre de publicité. Depuis, les institutions bancaires ont accaparé progressivement les réseaux numériques pour offrir leurs services. Désormais, il s'est établi, entre les terminaux (ordinateur, tablette, téléphone portable) de la clientèle et les serveurs de la banque, un contact direct, suivant le choix du client, qui court-circuite tous les liens traditionnels. Avec cette évolution, la clientèle qui se cantonnait jusqu’alors dans une relation de type classique (présence physique dans les agences, support papier, etc.) avec les banques dispose de nouveaux moyens pour effectuer les opérations bancaires. Ces opérations dématérialisées se réalisent à distance sur les réseaux de communications électroniques.
         19. Derrière son terminal, sans besoin de se déplacer dans une succursale de la banque ou même présent sur le territoire haïtien, le client peut obtenir des informations sur les produits proposés, suivre l’évolution de son compte, effectuer des opérations etc. L’offre en ligne devient un instrument indispensable pour les banques haïtiennes dans la fidélisation de leurs clients et la conquête de nouveaux marchés dans une économie mondialisée où les femmes/hommes et les capitaux se déplacent constamment d’un pays à l’autre.   
      20. Cette offre ne constitue pas en elle-même un nouveau type d’activités mais la complémentarité des services bancaires classiques et le prolongement d’une relation préalablement établie de manière traditionnelle entre banque et client. Celle-ci entre dans la stratégie « multi canal » utilisée par les banques en Haïti. Les établissements bancaires peuvent offrir à la clientèle des services sur des canaux différents: ATM, avec les cartes bancaires; internet, avec le service banking; téléphone portable, avec « lajan cash » de la BNC, « Sogemobile » de la SOGEBANK. Le dernier en date de cette stratégie est « Unibank tout kote » de la UNIBANK.
21. En ligne, le client (de la UNIBANK, de la BNC, de la SOGEBANK ou de CAPITAL BANK, etc.) situé sur n’importe quel point du globe peut, à partir de son ordinateur, réaliser des opérations bancaires ou traiter directement avec sa banque. Avec les réseaux numériques (Internet, téléphone portable, ATM) «les barrières spatiales ont perdu beaucoup d’importance..., tant en ce qui concerne les relations d’affaires que dans les structures d’organisation des entreprises (13) ». Grâce aux TIC, les banques haïtiennes qui ne sont pas implantées à l’étranger par l’intermédiaire de filiale, de succursale ou d’agence, ont la possibilité d'offrir certains services à leurs clients vivant en dehors du territoire haïtien.
22. « Les relations qui se nouent via les réseaux numériques font fi les notions d’espace et de temps, des territoires et des frontières étatiques. Les échanges sont quasi instantanées et peuvent être initiée de n’importe quel point du globe pour peu que l’on dispose des moyens techniques nécessaires (14) ». Les activités bancaires sur les réseaux de communications électroniques transforment le cadre spatial des banques haïtiennes. Sur le téléphone, les opérations financières se font à partir d’un terminal qui se glisse dans la poche, le sac à main, etc. que le consommateur peut amener partout en Haïti. L'accès aux services n'est plus limité à la zone métropolitaine mais s'étend sur tout le territoire national et  même au-delà des frontières haïtiennes.
 23. Les nouvelles technologies ont procédé à une restructuration du tissu industriel des banques haïtiennes. Comme à l'étranger « la banque qui était une industrie de main d’œuvre, est devenue une industrie High Tech (15) » en Haïti et de plus en plus accessible à la population et ouverte sur l'extérieur. La banque est désormais un service adressé aux consommateurs de toutes les catégories sociales du pays. Sur le plan international, les responsables n’ont plus seulement pour tâche de s’occuper des rapports avec les banques dans d’autres pays, c’est-à-dire des « relations de correspondants » mais aussi d'une nouvelle catégorie de clients faisant des transactions depuis l'étranger.
             24. La déréglementation du système bancaire et le développement des nouvelles technologies s'étendent au-delà du décloisonnement des activités des banques dont les métiers sont de plus en plus diversifiés. Ils touchent également le système de contrôle. En effet, la convergence des activités (banque, assurance, finance, etc.) a considérablement favorisé l'expansion du champ de compétence de la BRH et la mise en place d'une application simultanée de la régulation verticale et horizontale.

IV.- Verticalité/horizontalité, une application simultanée dans la régulation
            25. Historiquement, les premières ébauches de régulation du secteur bancaire en Haïti datent de la fin des années soixante-dix avec la loi du 17 août 1979 créant la BRH. Au début l'organisation et la réglementation étaient le socle d'une régulation de type sectoriel. Une telle démarche répondait à un modèle d'organisation où les activités étaient cloisonnées en fonction du statut de l'établissement bancaire. La régulation se faisait alors dans une logique verticale. La vocation du régulateur consistait à intervenir dans le périmètre d'un seul secteur.
            26. La libéralisation de l’environnement économique et financier et l'utilisation des réseaux numériques ont donné lieu à une diversification et une convergence des métiers de la banque, de la finance, etc. Cette évolution aboutit au rapprochement, voire la fusion, de certains services. Dans ces secteurs, le marché est devenu un espace aux contenus évolutifs. En effet, au fur et à mesure que les secteurs bancaire et financier se libéralisent, la concurrence pousse les acteurs à intégrer de nouveaux produits dans leurs gammes de services afin de maintenir leurs positions sur le marché haïtien.
            27.  Dans le système bancaire on relève, depuis les dernières années marquées par de profondes réformes, un élargissement des fonctions de la BRH. En effet, depuis la loi du 17 août 1979, en passant les textes du 14 novembre 1980, du 26 juin 2002 sur les Coopératives d’Épargne et de Crédit pour arriver à la loi du 14 mai 2012, le cadre d'intervention de l'autorité de régulation bancaire se construit sur la base d'une vision qui lui donne un caractère exponentiel. Au rythme du développement des technologies et l'accroissement de la concurrence apparaissent de nouveaux services dans le système bancaire. Ainsi, au fil des années de nouveaux domaines viennent s’ajouter par couche successive dans le champ de compétence de la BRH.
            28. Derrière l’éclosion du champ de compétence de la BRH se profile en filigrane une transformation dans la manière de réguler le système bancaire. La régulation se fait désormais dans une approche systémique. L'autorité de régulation n'intervient pas seulement dans un seul domaine mais ses actions s'élargissent à toutes les activités exercées par les banques et les autres institutions financières. « La régulation peut alors être le moyen de faire de la prévention du risque systémique dans la régulation du secteur bancaire »(16). Le travail de la BRH se fait dans une relation d'interaction et d'interdépendance des produits bancaire, financier, etc.
            29. Cette nouvelle relation ne remet pas en cause le rapport traditionnel entre la BRH et le secteur bancaire. Il se construit de référence dans une autre dimension. La régulation ne s'élabore pas seulement dans une logique verticale. Elle se fait également dans une démarche horizontale. L'horizontalité se traduit par l'établissement des corrélations entre les différents secteurs banque, finance, coopérative, assurance, etc. Comme la pour la réglementation, la fonction de régulation de la BRH ne s'exerce plus dans une logique sectorielle. Le régulateur agit dans un cadre multisectoriel et dispose d'une compétence transversale dans le contrôle des activités bancaires, financières, etc. La régulation prend la forme d'une pratique hybride alliant verticalité et horizontalité.



Conclusion
            30. C’est bien la politique de libéralisation de l'économie, le développement des activités sur les réseaux numériques qui ont modifié la structure du système bancaire et contribué à son décloisonnement. L'ouverture dans ce secteur a en effet remis en question les formes traditionnelles d'exercice des activités bancaires et financières et apporté des nouveautés dans la manière d'effectuer les opérations financières.
            31. Les changements au cours de ces dernières années ont conduit à une modification des structures du marché, mais également à changer la manière de procéder dans la régulation du système bancaire et financier. Ils favorisent une concurrence entre les acteurs sur le marché  et provoque de manière indirectement la convergence des services bancaires et financiers. Dans cette perspective, la dynamique unissant ces activités engendre un mouvement de rapprochement des banques et des autres institutions financières par l'élaboration d'un socle de règles communes. 
            32. La nouvelle loi répond à un besoin évident de nouvelles pratiques dans le système bancaire, reposant moins sur une réglementation sectorielle mais plus sur une conception qui prend en compte l'interpénétration croissante des métiers de la banque et de la finance et la convergence des mécanismes de régulation. Ainsi, l'enjeu de la régulation dans le système bancaire haïtien dépasse de toute évidence des interventions sectorielles et s'inscrit dans un mouvement plus large embrassant plusieurs secteurs d'activités.

Blair CHERY
Docteur en droit à l’Université Toulouse 1 Capitole
Professeur à l’Université de Port-au-Prince
Email:  blairfamerchery89@yahoo.com

RÉFÉRENCES
1.- La règle Paul Volcker aux USA préconise l'interdiction pour les banques de spéculer pour compte propre.
2.-La proposition de la Commission John Vickers en Grande-Bretagne suggère de cantonner les activités sous un même toit.
3.-Le rapport Erkki Liikamen préconise en effet de rendre obligatoire le cantonnement des activités de marché à hauts risques   dans une structure juridique séparée, lorsque ces activités dépassent un certain seuil.
4.-GUILLOT Jean-Louis : Pratiques bancaires, source du droit des affaires, In « Petites affiches », Paris: 7 novembre 2003, n° 237, p. 13
5.-Article 224 de la constitution
6.-Articles 2, 19, etc. de la loi de 1979 et arts 9, 14, 16, 20,22, etc. du décret du 14 novembre 1980
8.-Circulaires 82-1, 82-2
9.-www.sogebank.com /Groupe Sogebank
10.-www.unibankhaiti.com / Groupe financier National
11.-Article 5 de la loi sur les banques et les autres institutions financières
12.-CHERY Blair : Les enjeux économiques et juridiques des services mobiles de paiement, In «Le nouvelliste » Haïti : 16/05/2013
13.-CACHARD Olivier, GAFNER Julien : E- banking et E- trading, ed. CEDIDAC, Lausanne: 2007, pp 8-9
14.-CAPRIOLI Éric : Droit international de l’économie numérique, 2ème éd. LITEC, Paris: 2007, pp 1-2
15.-Revue d’économie financière: la banque change d’univers /no spécial, Paris:2009 p.68
16.-FRISON-ROCHE Marie-Anne: Les nouveaux champs de la régulation,  In « Revue Française d’Administration  Publique », Paris: 2004/1 - N°109 p.59








mercredi 22 juillet 2009

CYBERCRIMINALITE, LEGISLATION EN HAITI: ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

La problématique de la sécurité est au cœur de l’actualité et de la réflexion politiques en Haïti. Pourtant la dimension Internet de cette question demeure largement inexplorée alors que les enjeux (économique, social, culturel, etc.) ne manquent pas. Sans ignorer le poids des formes classiques de la criminalité, aujourd’hui la sécurité nationale peut être aussi menacée (1) par la nouvelle forme de délinquance qui sont les infractions commises via les technologies de l’information et de la communication (TIC). L’objectif dans cet article est de voir si, dans son état actuel, la législation haïtienne est apte à saisir et à traiter toutes les infractions relevant de la cybercriminalité.
1. Si elles sont un facteur de progrès les nouvelles technologies, principalement Internet, ne se développent pas sans comporter de risque. Le risque vient de «l’émergence d’une criminalité nouvelle qui sait utiliser les facilités de la communication virtuelle pour en tirer des effets bien réels (2)». En effet, les criminels saisissent l’opportunité offerte par les TIC pour: pirater les réseaux informatiques, diffuser des images pédophiles et de fausses informations, escroquer, contrefaire, blanchir l’argent sale, s’introduire dans des sites et serveurs des entreprises ou des gouvernements, etc.
2. Aujourd’hui, les activités illicites sont en plein essor sur le Web. Des données chiffrées permettent d’avoir une idée approximative sur l’importance de ces activités sur le réseau Internet. Aux États-Unis, selon un rapport de la FBI (3) ce type de crime avait fait perdre à l’économie américaine plus de 67 milliards de dollars ($) en 2007 et dans le monde les gains annuels (4) des criminels, supérieurs au trafic de la drogue, s’élèveraient à 105 milliards $. Au Japon (5) après une augmentation de plus de 40% des délits sur la toile en 2006, l’archipel a subi en 2007, 15000 attaques de type DoS (déni de service), c’est-à-dire des assaillants qui paralysent le serveur d’une entreprise, puis négocient avec son patron une rançon pour le remettre en service. En France (6), les infractions (escroqueries, abus de confiance, etc.) sur Internet ont augmenté de plus de 104% en un an.
3. Frappée par ce phénomène, (ex: les dernières rumeurs sur Internet sur la faillite des banques haïtiennes démenties par la Banque de République d’Haïti (BRH) et l'association professionnelle des banques -12/03/2009 www.radiokiskeya.com) Haïti ne dispose aucune statistique au niveau national. Pourtant les autorités policières, dans leur conférence hebdomadaire, donnent un bilan chiffré de la lutte contre l’insécurité sans jamais faire le cas de la délinquance sur Internet. Signe d’un «mépris» ou d’une «autre vision» de la sécurité au moment où l’utilisation des nouvelles technologies (Internet, téléphone portable, etc.) sont en nette progression dans le pays et d’autres États (7) font de la lutte contre la cybercriminalité un enjeu de sécurité nationale.
4. De plus en plus utiliser pour qualifier les infractions liées à l'usage des TIC, la notion de cybercriminalité n'a reçu aucune définition communément acceptée. Elle recoupe une multitude de réalités, voire un ensemble d'infractions qu'on classe généralement en deux catégories d'actes. La première touche à la définition des infractions classiques mais transposées dans les TIC: il s'agit du vol de matériels ou de composantes informatiques et de la diffusion sur le réseau numérique des contenus illicites. La deuxième renvoie à de nouvelles infractions liées à la sécurité des réseaux. D'une manière générale «la cybercriminalité fait référence aux activités criminelles qui s'effectuent via les technologies et de l'Internet et à travers le cyberespace (8)». Ce nouvel espace de la criminalité apporte son lot de questions et défis au droit. Pour le droit pénal haïtien la tache se trouve compliquée du fait de la spécificité des infractions sur le Web. En effet, comment ce droit qui fonde sa légitimité sur des frontières territoriales ignorées par Internet peut-il appréhender les infractions dans le cyberespace? Comment la législation haïtienne conçue pour réprimer les infractions traditionnelles peut-elle s’appliquer aux activités criminelles relevant de l’utilisation des TIC? L'application du droit haïtien à ces activités implique au préalable qu'il s'adapte aux caractéristiques du réseau numérique à savoir sa dématérialisation et son ubiquité.
I.- L’adaptation du droit haïtien à la dématérialisation du réseau
5. L’Internet est, par définition, considéré comme un moyen de communication sans aucun doute le plus grand réseau de la société de l'information. Technologiquement, cet outil de communication conduit à la dématérialisation des échanges. Celle-ci se traduit par l’immatérialité des activités sur le Web et la neutralité du support Internet. C’est à partir de ces éléments que le droit haïtien se saisit de la dématérialisation du réseau numérique.
a) L’appropriation de l’immatérialité des activités sur Internet par le droit haïtien
6. Dépouillées de supports physiques les activités exercées sur le réseau numérique sont de nature immatérielle. Mais l’idée d’immatérialité ne constitue pas une exclusivité du réseau Internet. En effet, le droit se trouve également sur ce terrain. Par exemple, le droit haïtien évoque dans ses différentes dispositions (civile, commerciale, etc.) des droits portant sur des choses incorporelles ou des biens immatériels: titres, actions, droits d’auteurs et droits voisins, brevets, dessins et models, marques, etc. Le régime juridique de la propriété intellectuelle donne une base légale à la protection des programmes conçus sur ordinateur (décret-loi du 12 octobre 2005 arts.2 et 3), des brevets (loi du 14/12/1922), des marques de fabrique et de commerce (décret du 28 août 1960). L’adhésion d’Haïti à l’Accord Général sur le Commerce des Services (ADPIC:art 10) intègre dans la législation haïtienne l’obligation de protéger les œuvres numériques en tant qu'oeuvres littéraires en vertu de la Convention de Berne (1971). Dans la constitution (arts.36-39), la protection de la propriété concerne autant les biens matériels et qu’immatériels.
7. Etant protégés par la loi, les infractions relatives aux biens immatériels n’échappent pas au droit pénal. Ainsi, dans le domaine de la propriété intellectuelle toute violation d'un droit protégé constitue un acte de contrefaçon sanctionné par le Code pénal (arts.347-351 C.pén.). Dans ce sens, la mise en circulation d’une œuvre contrefait sur le réseau Internet est punissable (art.54 décret-loi 12 oct. 2005). Par application de la théorie d’équivalence fonctionnelle ce régime de sanction peut être étendue au nom de domaine en vertu de l’article 24 du code de commerce qui interdit aux tiers d’utiliser à l’identique un nom commercial ou d’employer une marque de fabrique dont les éléments constitutifs reproduisent tout ou partie essentielle d’un nom commercial enregistré ou déposé. D’un autre coté, les dispositions du code pénal (art.337) permettent d’avancer que l'utilisation frauduleuse de numéro de carte bancaire en ligne (phishing) constitue une escroquerie puisqu’elle consiste à se faire passer pour le propriétaire de la carte en vue d’acheter ou vider son compte, etc. En résumé, les éléments constitutifs d'une diffamation (arts. 313 à 320 C.pén./arts.16, 18, 22 et 23 décret-loi du 31 juillet 1986), d’une escroquerie, ou d'une contrefaçon ne sont pas différents selon que l'acte est accompli par la voie traditionnelle ou par le biais des TIC.
8. Dans l'univers des TIC «même si Internet garantit un certain anonymat, il permet aussi de tracer les transactions (tous les actes en ligne)... Les traces existent, il faut par conséquent se donner les moyens d'exiger leur conservation afin de pouvoir les mettre à disposition des autorités judiciaires en cas de besoin (9)». C’est le sens de la résolution du Conseil National des Télécommunications (02/07/2008) «Relative à l’obligation (pour les opérateurs) d’identification des abonnés au service de téléphonie mobile» dans le cadre de la lutte contre le kidnapping. En effet, lorsqu’un ravisseur appelle les proches d’un séquestré, il laisse une trace: son numéro de téléphone ou son adresse IP dans le cas d’utilisation d’Internet. Le même principe s’applique pour les images pornographiques qui circulent sur les téléphones portables des élèves à Port-au-Prince (www.haitipressnetwork.com : La pornographie envahit les écoles, 13/02/2009). La police peut avoir accès, dans le cadre de ses enquêtes, à ces traces pour identifier le ravisseur ou retrouver l’auteur des images qui doit faire l’objet de poursuites devant les tribunaux. Ainsi, l’immatérialité qui caractérise les activités faisant usage des TIC ne rend pas impossible leur appropriation par le droit haïtien. Au lieu de l’écarter les nouvelles technologies le renforcent dans sa fonction de protection des citoyens, notamment dans ses activités sur le réseau.
b) La prise en compte de la neutralité du réseau par le droit haïtien
9. Les réseaux numériques, en particulier Internet, renvoient à un ensemble d’infrastructures techniques qui constitue le support sur lequel sont réalisées de nombreuses activités. Un bref parcours dans les textes de loi atteste que le réseau comme support aux activités est déjà présent dans les droits public et privé haïtiens. L'article 2-m du décret-loi du 23/11/2005 portant réforme du statut de la Banque Nationale de Crédit (BNC) présente les nouvelles technologies, notamment l'Internet, comme un moyen pour la BNC d'améliorer sa performance, son efficacité ainsi que l'accès de la clientèle aux produits et aux services bancaires. Bien avant la loi du 24/09/2001 (art. 62) qui parle de réseau d’échanges des informations, le décret-loi du 12 octobre 1977 définit les services de télécommunications comme moyen facilitant les rapports et échanges de communications, d’information et de civilisation. Mais, plus qu’un moyen d’échanges, les réseaux de télécommunications sont devenus avec la numérisation un outil utilisé par les criminels.
10. En matière pénale, il est de principe que la preuve doit être obtenue et produite légalement. Mais la légalité n’exclut pas la diversité des modes de preuve. Dans le code pénal (art.10) la preuve peut être établie par toutes les choses produites par le délit, soit de celles qui ont servie ou qui ont été destinées à la commettre. Lorsqu’une infraction est commise (art.25 Code d’Instruction Criminelle CIC) le commissaire du gouvernement se saisira des armes et tout ce qui paraîtra en avoir été destiné à commettre le crime ou délit, ainsi que tout ce qui paraîtra en avoir été le produit. De son côté, le juge d’instruction (art.73 CIC) peut se transporter d'office dans le domicile du prévenu pour y faire perquisition des papiers, effets, et généralement tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. La généralité qui entoure la preuve (consubstantielle à la liberté) et les procédés de commissions des infractions pourraient couvrir une multitude d’objets en rapport avec les TIC: ordinateurs, disque dur, DVD, CD, logiciels, adresse IP, réseaux de diffusion, etc. Bref tous les instruments dont dispose l’internaute pour réaliser des actes illicites. Ainsi, le crime reste indépendant des moyens utilisés par le criminel puisque les infractions ne sont pas synonymes d'une arme ou d'un support en particulier.
11. À l’évidence, l’utilisation du réseau numérique dans la commission d’une infraction n’affecte pas la nature pénale de l’acte. C’est le principe de neutralité technologique qui pose, d’une part, l’indifférence du réseau au regard des multiples usages qu’on peut en faire et, d’autre part, l’égalité des supports physiques et des supports numériques. Régit par le principe de neutralité technologique, les activités en ligne sont assimilées à celles utilisant les moyens traditionnels. Donc, en matière pénale il n'y a pas une criminalité autonome sur Internet qui se dissocie de la criminalité traditionnelle du fait de l'utilisation des supports électroniques. La cybercriminalité n'est pas un crime spécial mais une nouvelle forme d'expression de la criminalité. Une déclinaison des infractions classiques sur les supports numériques.
12. La référence au principe de neutralité «signifie que, dans la mesure du possible, il convient d’appliquer à l’Internet les règles de droit commun- celles qui n’ont pas été conçues spécifiquement pour lui- en faisant abstraction de ses particularités techniques (10)». Elle enlève également toute idée de vide juridique car «ni l’ignorance des frontières, ni l’avènement du virtuel n’ont pu soustraire l’Internet à la règle de droit (11)». Rappelons que la neutralité concerne le réseau (comme support aux activités en ligne) et non les lois applicables qui ne sont pas dénuées de sens (politique, économique, social). En effet, «chaque règle de droit implique une prise de position (12)» et «aussi technique qu’il soit, le travail du juriste (ou du législateur) offre quelque part, explicitement ou non, une prise de position philosophique (13)».
13. Ainsi, il n’ y a pas lieu d’élaborer un droit spécifique à l’Internet mais d’appliquer le droit existant en fonction du type d’activités en ligne. En Haïti, par exemple, les activités bancaires en ligne sont soumises aux dispositions légales et réglementaires sur le fonctionnement des banques. Le principe de neutralité technologique posé dans le domaine de l'Internet implique l'application de l'ensemble de la législation pénale haïtienne à la cybercriminalité. Mais la nature transfrontière du réseau Internet liée à son ubiquité ne ferait-elle pas obstacle à l’application du droit pénal haïtien ?
II.- L'adaptation du droit pénal haïtien à l’ubiquité du réseau
14. Conçu à partir de l'interconnexion de plusieurs réseaux nationaux ou régionaux l'Internet constitue un réseau mondial. Sur Internet tout ce qui circule est simultanément accessible à tous les internautes, n'importe où sur la planète. C'est l’ubiquité du Web qui donne aux activités en ligne un caractère extraterritorial d’où l’ancrage territorial du réseau numérique. Le territoire sur lequel repose les points de connexion au réseau sert également de cadre d’application du droit pénal haïtien.
a) Internet, nouveau territoire du droit pénal haïtien
15. L’avènement des nouvelles technologies a donné de nouvelles pistes à la criminalité. Profitant de la nature transnationale du réseau les criminels pensent utiliser Internet pour échapper au droit qui traditionnellement fonde sa compétence sur un espace territorial. Cependant, dans la configuration de l’Internet c’est le réseau qui est transfrontière. En effet, sur le Web les actes illicites partent du lieu où s’installe l’auteur de l’infraction pour atteindre des victimes se trouvant dans un territoire quelconque. Si Internet «N’est pas un réseau pensé et conçu dans et pour un territoire (14)», mais «la plupart des activités réalisées en ligne sortent des effets hors ligne, qui se concrétisent sur le territoire de l’un ou l’autre des États dont les territoires couvrent le monde terrestre (15)». Donc, Internet renvoi à une réalité spatiale, territorialisée, il fait partie des moyens dont l’homme dispose dans lequel le territoire joue un rôle important.
16. Comme pour le droit pénal l'impératif territorial pèse sur le réseau. En effet, «Dans l'environnement numérique, l'emploi des termes à connotation géographique, tels que le site, les zones de nommage, les domaines nationaux et supranationaux, les sous- domaines, le portail atteste de la difficulté de concevoir un monde totalement dématérialisé (16)». Internet est par nature inscrit dans un monde virtuel mais s’appuie sur le principe de territorialité, lequel conditionne l’application du droit pénal fondée sur le lieu de commission de l’infraction. Ainsi, le cyberespace ne supprime pas le territoire, «il se superpose à lui..., il créé un territoire augmenté (17)». Avec les TIC les contours de la notion de territoire sont en train de changer parce que d’autres lieux (le cyberespace) viennent s’ajouter à lui. Le cyberespace devient comme le territoire un lieu où des infractions peuvent être commises. «L’espace physique et le cyberespace sont dorénavant indissociables en tant qu’espaces juridiques» (18).
17. En matière pénale une infraction est réputée commise en Haïti dès lors qu’un des faits constitutifs a eu lieu sur le territoire national. S’agissant d’une infraction réalisée à partir d’un site Internet consultable en Haïti, la victime portera son action devant le tribunal de son domicile, en tant que lieu où l’acte illicite est accessible ou localisée par un terminal (ordinateur, téléphone), c’est-à-dire le lieu où le dommage a produit ses effets. Par exemple, l’article 21(décret-loi 31 juillet 1986) dispose que l’action pénale en matière de délit de presse sera portée devant le tribunal correctionnel du délit.... Le lieu du délit est celui où les actes constituant le délit de presse sont accessibles. Il en est de même en cas de renvoi d’images pornographiques sur le téléphone portable d’un mineur vivant en Haïti (section IV C.pén.- art.15-5 décret-loi 31 juillet 1986- la loi du 05/04/2003). En règle générale, la loi pénale haïtienne est applicable comme étant la loi du lieu de l’infraction pour tous les actes illicites commis sur le territoire de la République via les TIC. Si les effets peuvent être ressentis dans plusieurs pays, notamment en Haïti, mais le plus souvent les infractions sur Internet sont le fait des criminels localisés dans d’autres États. D’où le caractère extraterritorial des activités en ligne.
b) L'extraterritorialité, point commun entre le réseau Internet et le droit pénal haïtien
18. Commise sur le réseau Internet, la cybercriminalité est un phénomène qui dépasse les frontières. Avec la révolution technologique les actes illicites sont généralement l’œuvre des criminels établis partout dans le monde. Les éléments constitutifs d’une infraction dans le cyberspace peuvent être localisés dans plusieurs pays. Au printemps 2007 l’attaque informatique visant à rendre indisponible les sites du gouvernement, des opérateurs de téléphonie, des organes de presse et les rumeurs sur la faillite de certaines banques en Estonie venaient de l’étranger selon les experts. Les fameux Spam 234 (Indicatif téléphonique du Nigeria) ou Spam nigérians sont généralement d’origine africaine (dans ces e-mails on invente une histoire d’amour, de gain au loto, d’un héritage d’un grand parent décédé pour en profiter l’internaute doit envoyer le numéro de sa carte bancaire ou faire un transfert d’argent à l’ordre de Mr X ou Mme Y pour les frais de procédure ou décaissement). Les sites de vente illégale et de distribution des œuvres haïtiennes contrefaites (musiques, films, etc.) sont pour la plupart hébergés à l’étranger. Même quant ces éléments sont établis dans des lieux différents mais l’infraction ne vise pas tous les internautes du monde. Sur le Web les criminels ciblent leurs victimes potentielles qui peuvent se trouver dans un territoire étranger, particulièrement en Haïti.
19. A cela la réponse du droit haïtien n’est pas nouvelle pour les crimes dont certains éléments constitutifs se trouvent en dehors du territoire national. La loi du 24 avril 2001 (1.2-F) donne une portée extraterritoriale aux crimes en définissant l'infraction d'origine comme toute infraction même commise à l'étranger. Le CIC (arts.5et7) met également en évidence l’extraterritorialité de la législation en stipulant «que tout haïtien qui sera rendu coupable, hors du territoire d'Haïti d'un crime...sera poursuivi, jugé et puni en Haïti». Cette disposition est aussi valable pour les étrangers auteurs ou complices des mêmes crimes (art.6 CIC) vivant en Haïti ou ailleurs. Celle-ci rejoint l’une des caractéristiques de la théorie de l’ubiquité qui n’exige pas la localisation de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction dans un lieu unique mais simplement l’établissement d’un seul fait. Donc, il suffit qu’un seul fait de rattachement avec le territoire d’Haïti pour donner compétence aux juridictions répressives haïtiennes pour une infraction commise sur Internet alors même que ses auteurs se trouvent à l’étranger. Voyons comment la législation pénale d’Haïti réprime d’autres formes d’infractions en relevant de la cybercriminalité.
III.- Le droit haïtien et la répression de certaines infractions sur le réseau
20. De nos jours la plupart des informations produites et utilisées en Haïti, quelle soit de nature économique, sécuritaire, officielle, etc., se trouvent ou sont conservées sur des supports numériques. Ces données qui sont devenues des biens, au sens du code civil, peuvent faire l'objet d'attaque de la part des pirates informatiques. Les attaques les plus répandues sont les infections par virus ou logiciels espions, l’intrusion dans un système automatique (hacking/backdoors), le vol, falsification et la destruction des données. De nombreux textes existant peuvent aider le juge à réprimer ces infractions. Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol (art.324 C. pén). La soustraction suppose une chose qui peut être appréhendée. Dans les TIC, elle ne renvoie pas à la dépossession mais à une atteinte à la propriété d’autrui qui est la finalité du vol. Donc, dans le cas des données informatiques le défaut de matérialité ne fait pas obstacle à son appropriation frauduleuse. Dans cette optique, le vol peut porter non seulement sur des choses physiques mais également sur des choses incorporelles tels les logiciels (crating), les données, etc.
21. La généralité qui entoure la définition du vol dans le code pénal touche bien évidemment les données, ce qui ouvre la voie à la violation (constitutif d’une infraction) du principe de confidentialité consacré par la constitution (art.49) et les lois de la République. Le décret-loi du 12/10/1977 (arts.7, 8 et 9) pose le principe de l'inviolabilité des correspondances dans les services de télécommunications et la loi du 14/11/1980 (arts.53, 70 et 108 à 117) sur les banques protège la confidentialité de toutes les transactions bancaires (en ligne ou dans les agences). D’un autre côté, l’abus de confiance ne pose pas de problèmes particuliers, les éléments constitutifs de cette infraction dans le code pénal permettent de qualifier certaines conduites sur Internet sans difficulté. En effet, sur le fondement de l'abus de confiance (art.340 C.pén.) le juge peut condamner un employé qui utilise son ordinateur de travail pour faire tout autre chose (détournement de l’outil de travail) qui ne rentre pas dans son contrat de travail (consultation des sites pornographiques ou téléchargement illégal). L’employeur pourrait utiliser ces comportements comme motif de révocation pour violation des clauses du contrat de travail (arts.18, 30 et 42 code du travail).
22. La législation haïtienne comporte également un certain nombre de dispositions qui lui permettent de réprimer l’infraction de blanchiment d’argent (mécanisme utilisé par les criminels pour blanchir des fonds d’origine illicite dans le but d’échapper aux multiples contrôles mis en place par les autorités). En effet, «Internet est un marché électronique et comme chaque marché il constitue un instrument potentiel de recyclage d'argent sale ou de fraudes fiscales (19)». De tels agissements génèrent des rendements financiers énormes qui pourraient entraîner des effets négatifs sur l'économie en général. La loi du 21/02/2001 sur le blanchiment d’argent et le transfert des capitaux consacre une section à la surveillance des transactions en ligne. Cette loi fait partie d’un paquet législatif comprenant notamment les normes de surveillance élaborées par la BRH issues des propositions du comité de Bâle d’octobre 2001 relatives au «devoir de diligence des banques au sujet de la clientèle». Considéré comme une activité criminelle et attentatoire à l'ordre public la lutte contre le blanchiment dans les services financiers est confiée à l'Unité Centrale des Renseignements Financiers (UCREF), aidée dans sa mission par les institutions financières. Celles-ci ont pour obligation de transmettre à l’UCREF (art.2.2.5) les ordres de paiement, les opérations de retraits, de virement, de transferts et sont tenus de se renseigner sur l'origine et la destination des fonds suspects ainsi que l'objet de l'opération.
Perspectives
23. Il est évident que l’utilisation des nouvelles technologies par les criminels n’emmène pas un bouleversement des conditions de fond d’application du droit pénal haïtien. Néanmoins, il reste insuffisant dans les réponses à donner aux différentes formes d’infractions commises sur Internet du fait que la plupart de ses dispositions ont été élaborées dans un contexte antérieur à la révolution numérique. En effet, l’innovation apportée par les TIC donne naissance à des infractions dont les éléments constitutifs ne se trouvent pas dans le cadre légal définit par le code pénal. Par exemple, les infractions relatives à la signature électronique (signature non encore reconnue dans le droit haïtien), au faux en informatique (la dissimulation de la vérité par la manipulation des données informatiques), et à la fraude informatique, (intrusion, avec intention frauduleuse, dans un système informatique pour modifier ou effacer les données qui sont stockées).
24. Avec les TIC la criminalité prend une nouvelle dimension, ouvrant la voie à d’autres formes d’infractions, mais il demeure, malgré ces technologies que ce sont les règles de droit classique qui s'appliquent. Par conséquent, l'erreur à ne pas commettre, dans le domaine des TIC, est de croire que les nouvelles technologies doivent «conduire à la politique de table rase» comme si tout se renouvelle et que la révolution numérique nous amène vers un monde virtuel, merveilleux, vertueux qui supprime le monde réel. Dans le cas de cybercriminalité, la solution ne se trouve pas dans une transformation radicale du régime juridique haïtien mais de préférence dans l'adaptation des dispositions en vigueur.
25. Comme toutes les autres infractions celles en rapport avec les TIC présentent des caractéristiques variées qui appellent à un traitement différencié. Donc, l’adaptation du droit pénal haïtien passe par l’extension de certaines infractions aux TIC et la création de nouvelles formes d’incriminations. Mais le droit pénal haïtien sera efficace dans la lutte contre la cybercriminalité par la mise en place des mécanismes institutionnels et préventifs: la création d’une brigade au sein de la police nationale et d’un organisme au niveau du ministère de la justice, l’information au public, la coopération avec d’autres États (20), et la modernisation de l’arsenal juridique national qui doit prendre en compte les données nouvelles apportées par la technologie numérique dans les différents domaines de la société (commerce, finance, audiovisuel, etc.).
26. Enfin, dans la société d’aujourd’hui, marquée par la mondialisation et les nouvelles technologies, la lutte contre l’insécurité ne se définit plus uniquement en terme de sécurité publique (ordre et paix). Elle se conçoit dans une stratégie de sécurité globale incluant l’économie, les TIC, l’énergie, l’environnement (21), la protection sociale, la défense nationale, etc., car la menace peut venir de toutes parts: de la nature (si on continue à la dégrader ou à polluer), des ennemis et surtout des concurrents. Dans cette stratégie la prospective et le renseignement, en particulier l’intelligence économique, deviennent des éléments indispensables.
Blair CHERY
Juriste, Doctorant
Université des Sciences Sociales de Toulouse

Références bibliographiques
1.- L’attaque par le ver W32 Conflicker de la défense française et de la marine Britannique le 15/16 janvier 2009, In «Libération»: Les armés attaquées par un virus informatique, Paris: 05/02/2009
2.- CHARPENEL Yves: préface, Cybercriminalité (QUEMENER MYriam et FERRY Joël), éd. Economica, Paris: 2007, p.V
3.- Cité par LOVET Guillaume: L’argent sale sur le net: les modèles économiques des cybercriminels, In revue «Défense Nationale et sécurité collective» (DNSC), Paris: mai 2008, p. 37
4.- Mc NIVEN Valérie, conseillère du gouvernement américain sur la cybercriminalité, cité par LOVET G. :op. Cit. p. 37
5.- TEMMAN Michel: Mobilisation contre le cyberterrorisme, In «Libération», Paris: lundi 23 juin 2008, p. 11
6.- Rapport de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication
7.- ROMANI Roger: Cyberdéfense: un nouvel enjeu de sécurité nationale, «In Cahiers de la sécurité» no 6, Paris oct. -déc. 2008 pp.111-117. Aussi, la création par le gouvernement américain d’un commandement militaire de cyberdéfense, juin 2009
8.- QUEMENER Myriam : Cybercriminalité : aspects stratégiques et juridiques, In DNSC, Paris : mai 2008, p. 24
9.- APAYE Agathe: Droit pénal et Internet, In «Actualité Juridique Pénal», Paris : 2005, p. 22
10.- BOURSERIE J.: La nouvelle architecture de la communication, In «Communication commerce électronique», Paris: 2005, chronique no 14
11.-SCHMIDT-SZALEWSKI Joanna:L’Internet ou l’illusion libertaire,«Etudes offertes à Philippe Simler»,Dalloz 2006 p803
12.-NAIM-GESBERT Eric : Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement, éd. Bruylant, Bruxelles: 1999, p 589
13.-CAILLOSSE Jacques: Droit, nature et littoral: ébauche d’une problématique,In Petites Affiches, no1,Paris:02/01/1995,p4
14.-SCHULTZ Thomas: Réguler le commerce électronique par la résolution des litiges en ligne; éd. Bruylant/ LGDJ, Bruxelles /Paris: 2005, p 45
15. - SCHULTZ Thomas: op. cit. p. 137
16.- LEWIS Marc: Le site Internet: de l’incorporel au virtuel, In «AJDI», Paris : 2001, p. 1073
17.- MUSSO Pierre: avant-propos, cyberesp@ce & territoires, In «Quadermi» no 66, Paris: printemps 2008, p. 7
18.-BECHILLON David: Cybercriminalité, In Actualité Juridique Pénale, Paris: 2005 p. 225
19.- Cour des Comptes français: Fraudes sur les prélèvements obligatoires, mars 2007
20.- Les recommandations faites les ministres de la justice de l’organisation des Etats américains (nov. 2007)
21.-FORTUNE Jodany: Quand l'insécurité environnementale nous guette, In «Le Matin» Haïti: 18-19 mars 2009, p. 3

CONVERGENCE TECHNOLOGIQUE, CONVERGENCE JURIDIQUE: OU EN EST HAITI?


1. Si le phénomène de convergence technologique devient une réalité en Haïti, comme partout dans le monde, avec l’arrivée des nouvelles technologies le débat autour de ce phénomène est très rare dans la société haïtienne voire même absent au plan juridique. Or la convergence technologique entraînera sans doute, comme il est le cas pour l’ensemble des technologies de l’information et de la communication (TIC), de réel changement dans le droit haïtien. En attendant que la législation sur les télécommunications soit réformée, il s’agit, dans cet article de mettre en évidence les éléments de convergence qui s’y trouvent.
2. De nos jours, avec la pénétration des nouvelles technologies dans les tous les domaines de la société, on constate une «ascendance de la technique sur la normativité1». En effet, elle «détermine dans une large mesure la possibilité et l’impossibilité des activités véhiculées par les réseaux et elle définit les modalités (les règles de droit) nécessaires... dans le cyberespace2» ou dans les TIC en général. La technique entraîne le droit dans une sorte de course-poursuite puisque celui-ci doit s’adapter en permanence aux évolutions perpétuelles de la technologie. Ainsi, dans la société de l’information les règles de droit, qui sont élaborées, ne font que transposer en langage et catégories juridiques les normes techniques, les restructurations, les nouvelles applications issues des progrès technologiques. Avec les TIC «les règles de droit sont de plus en plus exprimées comme composante du réseau dans lequel elles ne constituent que le relais3». Le droit de la communication audiovisuelle et le droit des télécommunications deviennent les exemples types des transformations apportées par les TIC dans le droit positif. En effet, sous l'influence de la convergence technologique on assiste, aujourd'hui, à une harmonisation des deux branches du droit qui étaient rédigées dans une logique de cloisonnement. En ce qui concerne Haïti la situation parait un peu paradoxal car, en dépit de l’ancienneté de sa législation à la convergence technologique, son système juridique donne une illustration de ce phénomène.
3. En Haïti, les télécommunications tout comme l’audiovisuel, par exemple, sont l’objet d’un régime juridique datant de la fin du XXème siècle. L’analyse de ce régime nous permettra de saisir les différents points de manifestation de la convergence dans le droit haïtien. Ainsi, il sera nécessaire de faire la lumière sur le contenu de cette notion avant de voir le cadre réglementaire des services de télécommunications, la consécration d'une autorité de régulation et les enjeux des prochaines réformes.
I.- La convergence: une notion au contenu indéterminé
4. Terme aux contours variés, la notion de convergence est utilisée partout: Dans la finance avec la rencontre des TIC et de la banque; dans les sciences du vivant avec l’union de la nanotechnologie, la biotechnologie, l’informatique et des sciences cognitives (NBIC). Pour les besoins de cet article nous abordons la convergence dans le sens du rapprochement de l’audiovisuel, des télécommunications et des TIC. Dans cette perspective, elle sera étudiée sous un triple aspect: technique, économique et juridique.
a) La Convergence dans la technique et dans l’économie
5. Au niveau technique, la convergence permise par les TIC s’exprime de multiples façons: la téléphonie sur Internet, la visualisation de son correspondant téléphonique avec le Webcam, le téléchargement des œuvres artistiques et culturelles (film, musique, etc.), la diffusion des médias sur le Web (les médias haïtiens sont, pour la plupart, diffusés sur le réseau Internet), etc. La convergence touche également d’autres objets de la vie quotidienne. Prenons l’exemple du téléphone portable, en plus de téléphoner on peut écouter la radio, faire des photos et de la vidéo, regarder la télévision, lire et envoyer des textes (SMS) et des images (MMS), dans certains cas surfer sur le Web, etc. Le téléphone portable est devenu un véritable ordinateur de poche. Grâce à la numérisation, les réseaux ou les terminaux de télécommunications peuvent distribuer divers types de contenus. En permettant aux réseaux de télécommunications de transporter des contenus audiovisuels, la convergence «remet en cause les frontières communément admises entre les services de télévision ou de radio (diffusés par voie hertzienne ou distribués par câble) et les autres services de communication4» (téléphone, Internet...). Avec la convergence, «la spécialisation des supports a de moins en moins de sens, le réseau habituellement réservé à l’acheminement des programmes de communication audiovisuelle ayant également à transmettre des services de télécommunications, et inversement5». C’est le processus de la «déspécialisation» des réseaux et des terminaux. De tels changements élargissent le champs de la convergence au-delà des questions techniques qui raccordent les contenus audiovisuels aux réseaux de télécommunications.
6. Aujourd’hui la «convergence concerne, de plus en plus, les différents acteurs de la chaîne des valeurs6», dont l’environnement économique est marqué par le jeu de la concurrence. D’une part, sous l’effet d’une concurrence acharnée et pour trouver de nouvelles sources de revenus, certains opérateurs de télécommunications se transforment en éditeurs et distributeurs de contenus. En France, par exemple, l’opérateur historique «France Télécom» a obtenu en 2008 une partie du droit de retransmission des matchs de la ligue de football professionnel et lance sur son réseau son bouquet de télévision «Orange TV». En 2005 les responsables du football en Belgique avaient fait le même choix avec l’opérateur «Belgacom». Aux États-Unis certains opérateurs de télécommunications diffusent des programmes audiovisuels sur leurs réseaux. D’autre part, les médias sont devenus aussi des opérateurs de téléphone. Le groupe de médias «NRJ» commercialise le NRJ mobile en Europe. Plus près d’Haïti dans les Antilles françaises et en Guyane le Trace mobile, sur le réseau DIGICEL, est une offre du groupe de télévision et de radio «TRACE». On pourrait ajouter d’autres exemples à cette liste parce qu’ils sont nombreux dans le monde les opérateurs et les médias à se concurrencer dans l’audiovisuel et les télécommunications.
7. Dans certains pays, sous l’appellation de «triple play», l’Internet haut débit permet aux opérateurs de télécommunications d’offrir dans un seul abonnement l’accès Internet, des bouquets de télévision/radio et de téléphone fixe; de «Muliplay play» avec la combinaison dans la téléphonie du fixe et du mobile. Ces offres intégrées se trouvent, sans aucun doute, dans les projets de la plupart des opérateurs sur le marché haïtien. Déjà le fournisseur d'accès Internet «MULTILINK» se lance, en plus de l'accès au réseau, dans le téléphone sur Internet (VOIP). Les opérateurs «DIGICEL», «VOILA» et «HAITEL» commercialisent le fixe, le mobile et fournissent l’accès à Internet. Ceci illustre parfaitement la convergence de ces services et bientôt le fusionnement des marchés. Il est certain pour préserver leurs parts de marché et d’augmenter leurs profits ces opérateurs vont diversifier leurs offres et multiplier les nouveaux produits au lieu de se lancer dans une guerre de prix vue la taille du marché haïtien. Ainsi, ils joindront à leurs offres de téléphone, en plus de ceux qui existent déjà, toute une gamme de services: télévision/radio, vidéo à la demande (VOD), etc. Cela se fera au détriment des fournisseurs d’accès Internet qui seront absorbés par les opérateurs de téléphone ou disparaître avec leurs seules offres d’Internet comme il fut le cas pour les services de «BIPCOM, DIGICOM», etc. démodés avec l’arrivée du téléphone portable en Haïti. Tous ces bouleversements provoqués par la convergence sur les plans technique et économique soulèvent de nouvelles interrogations, comme celles sur les rapports entre les droits de la communication audiovisuelle et des télécommunications.
b) La convergence dans l’élaboration de la règle de droit
8. Bien avant que la convergence devienne une réalité dans la communication «le mode de production du droit repose sur une logique de mono- fonctionnalité... L’on enregistre donc une sédimentation, des régimes juridiques provoquant un effet de cloisonnement7». Dans le passé, ce droit a été conçu dans le cadre d’une réglementation sectorielle. L’audiovisuel (radio/TV: contenus) et les télécommunications (Téléphonie: réseaux/ contenants/supports) étaient réglementés de manière distincte et séparée. Il y a une dizaine d’années, pour écouter la radio il fallait avoir un récepteur, un téléviseur pour la télévision et le téléphone ne servait qu’à téléphoner. Le droit comme la société qu’il régit ne peut pas se couper de la réalité donc, une législation sectorielle pouvait être justifiée à cette époque.
9. Aujourd’hui, la technologie numérique fait disparaître progressivement les lignes de démarcation entre les industries des contenus et des contenants avec l’interpénétration des moyens de production et diffusion. Ces industries sont en train de converger vers un seul secteur regroupant les divers services de la société de l’information et de la radiodiffusion télévisuelle. Comme le disait Francis Bacon (Novum Organum 1620) «on ne commande à la nature qu’en respectant ses lois». De nos jours, les lois de la nature dans la communication sont influencées par la convergence des technologies. Ce qui entraîne «un changement profond du mode intellectuel de la production du droit de la communication8» et transcende les divisions structurelles classiques fondées sur la distinction des régimes juridiques entre les différents types de réseaux et de services élaborés sur la base d’une spécialisation technique. Dorénavant, l’audiovisuel et les télécommunications ne sont plus réglementés par des cadres juridiques dissociés, mais de plus en plus par «un régime mixte combinant les règles du droit de la communication audiovisuelle et celles des télécommunications, selon que les services qu’elles supportent relèvent de l’un ou de l’autre de ces deux secteurs9». Cet ensemble de règles se recoupe sous le vocable du «droit des communications électroniques10».
10. Si dans la communication la convergence technologique se révèle un phénomène relativement nouveau, mais la convergence du droit de la communication audiovisuelle et du droit des télécommunications existait bien avant dans certains pays notamment en Haïti.
II.- Le cadre réglementaire des services de télécommunications
11. En Haïti, le secteur de la communication est encadré par un régime dualiste où se côtoient les règles de droit commun et celles des droits spécialisés. En témoignent certaines dispositions du code pénal (C.pén.), le droit de la presse (décret-loi du 31juillet 1986) et le droit des télécommunications (décrets-lois du 12 octobre 1977 et du 10 juin 1987). Ces textes de loi, toujours en vigueur, ont été élaborés à un moment où chaque service était attaché à un support de diffusion bien déterminé, c’est-à-dire le temps où l’audiovisuel était techniquement séparé des télécommunications. En dépit de cette séparation, le droit haïtien est marqué dans ce secteur par une étroite liaison entre les règles juridiques relatives aux contenus et aux contenants. Ainsi, les deux branches du droit ont convergé sur un ensemble d’éléments fondamentaux. Tels par exemple: la réglementation des réseaux de communication, le principe de liberté et les dispositions pénales.
a) La réglementation des réseaux
12. La communication a été considérée en Haïti comme un secteur stratégique par là un enjeu de politique majeur pour les gouvernements qui justifiaient sa mise sous monopole d'État dans le décret- loi du 12 octobre 1977. Ce texte a élaboré un cadre juridique harmonisé pour l’ensemble des services de télécommunications. Sans donner de définition, le décret aborde les services de télécommunications dans un sens large regroupant la téléphonie, la radio télédiffusion, etc. En outre, partant de la logique d’harmonisation législative, le décret-loi du 31 juillet 1986 sur le droit de la presse (art. l-2) renvoie au chapitre IV du décret-loi de 1977 pour définir la radiodiffusion et la télévision. Les contours de la notion de télécommunications étant posés dans ledit décret en des termes généraux donc, par une interprétation évolutive et extensive, tous les autres services, Internet en particulier, qui viendront par la suite des bouleversements technologiques, peuvent être classés parmi les services de télécommunications. Lorsqu'il parle des télécommunications comme moyen qui facilite les rapports et échanges de communications, d’information et de civilisation d’intérêt universel, le décret-loi n'établit aucune distinction entre les différents services (téléphone, radio, télévision, etc.). Malgré la spécialisation des supports de diffusion, déjà au niveau de la sémantique, l’ensemble des services était regroupé sous le seul terme de télécommunications.
13. Selon les dispositions du décret de 1977, toute installation de moyens (ou systèmes de télécommunications) est soumise à une autorisation préalable. L’autorisation d’exploitation des services ou des infrastructures de télécommunications est régie par un droit d’usage limité dans le temps. Le renouvellement se fait par tacite reconduction et non par un système d’appel d’offre ou de mise aux enchères des fréquences comme c’est le cas dans certains pays pour des raisons liées à la concurrence et à l’augmentation des recettes fiscales de l’État. Malgré ces éléments de rapprochement les licences d’exploitation sont attribuées par service. Aujourd’hui, on peut se poser la question sur le bien fondé ou l’efficacité de la licence unique ou du contrat par service dans un secteur où un même opérateur peut proposer plusieurs services (fixe, mobile et Internet). Ces services peuvent et vont éventuellement être offerts sur le marché haïtien à partir d’un seul support ou abonnement dans le cadre du triple ou multiplay. C’est aussi le cas dans l’audiovisuel où on assiste à la naissance de groupes de multimédias autour du concept «Radiotélé...»: «CARAÏBES», «GINEN», «METROPOLE», «SOLEIL», etc. Dans l'avenir, sous l'effet conjugués de plusieurs facteurs (convergence, concurrence, etc.) on observera le déplacement de tous les acteurs du marché au-delà leurs professions traditionnelles ce qui donnera une nouvelle configuration au secteur des télécommunications en Haïti. Cela entre dans la logique d’un secteur en pleine mutation et d’une économie qui fait de la liberté le principe de son fonctionnement.
b) Le principe de liberté
14. Marqués par la censure des pouvoirs publics dans l’audiovisuel et organisés sous forme de monopole d'État dans la téléphonie, les services de télécommunications avec la conjonction de plusieurs facteurs ont évolué depuis une vingtaine d’années en Haïti vers un modèle libéral. Ces services se retrouvent sur le terrain de la liberté érigée comme principe et classée parmi les droits fondamentaux dans la constitution de 1987. Le droit de l’audiovisuel renvoie à la liberté d’expression et à la diversité des opinions dans les médias. Celles-ci sont garanties par la constitution (arts.28 à 29.1) et par le décret-loi du 31 juillet 1986 qui définit leurs contenus et leurs limites. Sur le fondement de ces dispositions, la liberté d’expression ne peut faire l’objet d’aucune restriction que dans les cas prescrits par la loi.
15. De son côté, le droit des télécommunications, droit de nature économique, s’inscrit depuis des années dans une logique de marché et non plus de monopole. Dans cette optique, les autorités haïtiennes ont ouvert les télécommunications à la concurrence en signant des contrats d’exploitation de la téléphonie et d’autres services de la société de l’information avec des opérateurs privés (VOILA, DIGICEL, ACN, etc.). Cette politique trouve son fondement dans la constitution de 1987 qui, dans son préambule, fait de la liberté économique11 garantie par l’État (art.245) le modèle d’organisation de la vie des affaires. A cela l’article 250 ajoute qu’«aucun monopole ne peut être établi en faveur de l’État et des collectivités territoriales que dans l’intérêt exclusif de la société. Ce monopole ne peut être cédé à un particulier». Sans abroger le décret-loi de 1977 par une nouvelle loi sur les services de télécommunications, constitutionnellement le monopole de la TELECO ne pouvait plus être maintenu sur le marché haïtien. Un marché dont, les différents services sont également réglementés par le droit pénal en cas d’infractions.
c) Les dispositions pénales
16. En matière de diffamation et délit de presse les dispositions pénales traduisent bien la convergence. Il y a diffamation, injures publiques ou délits de presse lorsque des propos injurieux ont été diffusés dans les lieux publics ou atteinte aux bonnes mœurs et à l’ordre public dans des organes de presse (arts. 313 à 320 C.pén./arts.16, 18, 22 et 23 décret-loi du 31 juillet 1986). Un lieu est public lorsqu’il est ouvert à tout le monde. Qu’en est-il d’Internet?
17. Accessible partout dans le monde, notamment sur le territoire haïtien, à partir de n’importe quel site, Internet peut être considéré comme un lieu public, «l’incarnation la plus tangible à ce jour de l’opinion publique12». En plus, le réseau Internet qui sert de support de diffusion aux médias (Radio, télévision) et à la presse écrite (journal ou tout autre imprimée périodique) n’accuse aucune différence sur le plan pénal avec les supports traditionnels (fréquences hertziennes ou papier). En cas de violation de la loi, la justice ne fera aucune distinction de supports pour punir l’auteur de l’infraction (diffamation ou délit de presse) parce que les résultats sont les mêmes. C’est la même situation pour le droit de réponse (art.19 décret-loi du 31 juillet 1986), la loi reste indifférente aux moyens de diffusion utilisés pourvu que le droit de la victime soit respecté. En matière de convergence la législation haïtienne ne se limitait pas à la réglementation des contenus, mais s’engageait aussi dans une logique d’anticipation du futur en faisant réguler l’audiovisuel et les télécommunications par le même régulateur.
III.- La consécration d'une autorité de régulation
18. Bien avant l’Angleterre en 2003 avec l’«Office of Communications» (OFCOM), après les États-Unis en 1934 «Federal Communication Commission» (FCC) et le Canada en 1968 «Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes» (CRTC), Haïti avait placé l’ensemble des services de télécommunications sous le contrôle d’une seule autorité de régulation: le «Conseil National des Télécommunications» (CONATEL). En effet, selon l’article 1er du décret-loi du 10 juin 1987 portant réforme de son statut, le CONATEL est l’instance publique chargée de la définition et de la conduite de la politique arrêtée par le Gouvernement de la République dans les télécommunications.
a) Le CONATEL: symbole du désengagement de l’État
19. La création d’une autorité de régulation dans les télécommunications, si elle est un acte juridique ou une décision politique, c‘est aussi un choix économique. Ce choix traduit la nouvelle relation que l’État haïtien entretient avec l’économie. Celui-ci adopte «une position d’extériorité par rapport au jeu économique13». C’est le principe de la séparation des fonctions de réglementation et d’exploitation. Principe qui résulte d’une politique de libéralisation et d’ouverture à la concurrence de l’économie. En effet, «Les autorités de régulation participent de cette mouvance de remise en cause de l’État dans le cadre du néo-libéralisme économique. De ce fait, l’idée de confier entièrement les secteurs libéralisés à l’État a été écarté car contraire à l’esprit de régulation qui se veut impartial et objectif14». Ainsi, ne voulant/pouvant plus intervenir directement sur le marché des télécommunications l’État s’efface derrière le CONATEL qui a pour mission de mettre en application les mesures prises par ce dernier dans le cadre de ses attributions et de procéder à la planification, au contrôle et la réglementation des services de télécommunications (art.6 décret-loi juin 1987).
20. Organisme autonome chargé de réguler, d’assurer la promotion et le développement du secteur des télécommunications sur tout le territoire de la République d’Haïti, le CONATEL est investi du pouvoir d’élaborer des normes techniques applicables aux équipements de télécommunications conformément aux caractéristiques et standards internationaux. Il établit également des normes techniques d’exploitation des différents services, assure la coordination technique externe en ce qui concerne les télécommunications, contrôle et évalue les programmes nationaux de formation technique en fonction des besoins. Toujours dans sa mission, le régulateur attribue les fréquences nationales, délivre les licences et les permis d’exploitation des réseaux et des services. Il veille à l’application des prescriptions de la loi sur les télécommunications ainsi que des normes ou caractéristiques établies dans le cadre de la réglementation des services. En plus de ses fonctions spécifiques, le CONATEL exerce des attributions générales de proposition, de consultation, d’information auprès du gouvernement, d’arbitrer les différends dans le secteur, de représenter le pays dans les organismes internationaux spécialisés dans le domaine des télécommunications, de pouvoir de sanctions dans le cas de non respect des règles relatives aux réseaux et contenus des programmes (art. 139 décret-loi 12 oct. 1977). Cette liste de fonctions n’est pas exhaustive on pourrait en ajouter d’autres car du fait de la souplesse du droit de la régulation le régulateur peut avoir d’autres compétences non énoncées dans la loi.
b) Le CONATEL: une autorité de régulation intégrée
21. De caractère «flexible, souple15» le droit dans un système de régulation permet aux acteurs de se libérer de la rigidité, l’uniformité, la verticalité de la règle de droit élaborée par l'État. Dans ce système le contrat devient la figure emblématique de la réglementation. «Le contrat substitut de la loi16», «La régulation des réseaux numériques par le contrat17» des titres parmi des dizaines d’autres qui montrent la place du contrat dans la régulation. Les contrats signés entre le CONATEL et les opérateurs sont des preuves de la contractualisation dans les services de télécommunications (http://www.conatel.gouv.ht/). Dans la plupart des cas, la règle de droit est l’œuvre même de l’autorité de régulation qui l’adapte progressivement aux évolutions du secteur. C’est le cas du CONATEL qui, (art. 6 du décret-loi de 1987), peut procéder à la réglementation des services de télécommunications. Ce pouvoir lui donne la possibilité d’étendre ses champs de compétences à chaque fois qu’un nouveau service se converge vers le secteur régulé ou lorsque de nouvelles problématiques émergent dans les télécommunications. Son pouvoir ne peut pas aller au-delà de son domaine de régulation et peut réglementer à condition que les règles n’existent pas dans le droit commun.
22. Par ailleurs, la libéralisation dans les services de télécommunications oblige le CONATEL de répondre à des questions qui ne se posaient sous le régime de monopole: des questions relatives à la concurrence. Afin d’assurer le développement des infrastructures et des services dans les télécommunications (art.3 du décret-loi 1987), le CONATEL veille à ce que les règles du jeu soient respectées à savoir: l’égalité d’accès au marché et aux ressources essentielles dans des conditions transparentes, l’impartialité dans ses décisions, la concurrence loyale, la qualité des services, l’interconnexion des réseaux, la protection des consommateurs, le maintient du service universel, etc. Dans l’audiovisuel le bon fonctionnement des services implique, en prenant en compte certaines dispositions du décret-loi de 1977, l’allocation des fréquences sur des bases équitables, la garantie de l’indépendance des médias, l’objectivité et la liberté de l’information. Il requiert également la promotion de la culture nationale, le respect de la morale et l’ordre public dans les émissions. Enfin, l’autorité de régulation doit surveiller à la qualité et à la diversité des programmes. De ce fait, on peut considérer le CONATEL non seulement comme un régulateur de contenants ou de réseaux mais aussi comme un régulateur de contenus et responsable de la concurrence sectorielle, c’est- à- dire une autorité de régulation intégrée. Une autorité qui, malgré tout, devrait être réformée car le secteur des services de télécommunications a connu durant ces dernières années de profondes transformations. Donc, il serait mieux de s’interroger sur les enjeux des réformes à venir?
IV.- Les enjeux des prochaines réformes
23. L’intérêt de toute nouvelle réforme serait de faire du CONATEL un organisme plus intégré en lui donnant plus de pouvoir en matière de régulation de contenus. Vouloir séparer la législation et la régulation des contenus de celle des contenants comme le préconise l’article 3-2 du projet de loi de février 2008 du Ministère des Travaux Publics, Transports et Communication (MTPTC) constitue une régression, une décision qui ne va pas dans le sens des évolutions dans le secteur. Le bien-fondé d’une institution réside dans l’adéquation qui doit être la sienne au secteur sur lequel elle exerce ses compétences. Il est tout fait normal dans la définition de ses champs de compétences de prendre en considération les particularités du secteur en question.
24. La tendance actuelle est à la fusion des autorités de régulation de l’audiovisuel et des télécommunications car la distinction entre les contenus et les contenants ne fait pas de poids devant la convergence des technologies. «A l'heure de la numérisation et de la convergence, les acteurs des contenus et des tuyaux (réseaux) sont condamnés à travailler ensemble. Aujourd’hui l’ADSL, demain la fibre et les réseaux à très haut débit mobile. Le poids des réseaux télécoms dans la diffusion de la télévision payante (des contenus en général) ne devrait pas cesser de s’accroître18». Aujourd’hui, quelques pays maintiennent encore deux autorités de régulation dans les communications électroniques. On peut citer le cas de la France où la mise en question de cette double structure, pour le moins dépassé, commence à se faire entendre. L’existence de deux autorités de régulation pour les réseaux de télécommunications et les services associés est susceptible d’engendrer des chevauchements de compétences, des incertitudes juridiques et d'incohérences politiques.
25. Dans un souci de sécurité juridique, de clarté et d’efficacité, la décision est de maintenir une seule autorité de régulation. En effet, la convergence technologique conduit à reconnaître que la fonction du régulateur (CONATEL) déborde les clivages traditionnels entre l'audiovisuel et les télécommunications. Donc, la connaissance du fonctionnement des réseaux est devenue indispensable pour mieux réguler les services audiovisuels, comprendre la nature et la portée des bouleversements technologiques. Ce savoir-faire est essentiel pour un régulateur car les médias sont en train de basculer dans le tout numérique avec la télévision numérique terrestre (TNT) et la télévision mobile personnelle (TMP). La TNT est déjà mise en service dans certains pays d’Asie et d’Europe, particulièrement en France depuis 2005 où la fin de la diffusion analogique est prévue pour 2011. Le lancement de la radio numérique terrestre (RMT) est fixé pour la fin 2009. Aux États-Unis le passage définitif au numérique est programmé pour l’année 2009. Dans ces pays, les fréquences libérées après l’extinction de la diffusion hertzienne analogique sont réclamées par les opérateurs de télécommunications et les moteurs de recherche. C’est le problème de la répartition de la «dividende numérique», objet de réflexion dans chaque État sur la mise en place d’un plan national de réaffectation des fréquences. En ce qui concerne Haïti, elle ne pourra pas s’échapper à ces mutations technologiques qui sont inhérentes au développement des médias haïtiens qui, tôt ou tard, prendront le chemin de la diffusion en numérique et en haute définition (HD). La note du CONATEL (29/12/2009) qualifie d'impératif la transition vers le numérique.
26. D’un autre côté, cette volonté de séparation suscite un certain nombre de questions. En effet, comment sanctionner les atteintes graves aux réglementations, renouveler la licence, prolonger le contrat d’un opérateur/médias si le régulateur haïtien n'a pas de pouvoir de contrôle sur les programmes produits ou diffusés par celui-ci? Comment pourra-t-il exercer ses fonctions dans un environnement où les concurrents seront les mêmes dans l’audiovisuel et les télécommunications du fait de la convergence technologique?
Conclusion
27. La convergence technologique a apporté dans les services de télécommunications une nouvelle organisation. L’audiovisuel et les télécommunications, qui évoluaient dans des technologies différentes, se convergent vers les mêmes plates-formes de transmission et de diffusion. La convergence met un terme à ce long rapport de dépendance entre un support et un service donné. Elle marque aussi la fin du régime juridique instituant des législations séparées et des autorités de régulation distinctes entre les contenants et les contenus.
28. Si dans son état actuel, le droit haïtien sur les services de télécommunications n’empêche pas au CONATEL d’exercer sa mission dans le cadre des nouvelles données technologiques et structurelles apportées par la convergence, mais n’est tout à fait adapter aux besoins du moment. Prenons en exemple, la frontière maintenue entre l’audiovisuel et les télécommunications sur la base des supports utilisés. Alors que la convergence fait disparaître cette frontière et exige la mise en place d’un système d’autorisation couvrant les services comparables quelle que soit la technologie utilisée. On peut citer aussi l’absence de réponse de la réglementation sur les radios et télévisions diffusées exclusivement sur Internet.
29. Bref, pour faire face aux nouveaux défis posés par la convergence l’idée est, certes, de réformer la législation actuelle sur les télécommunications. Toutefois une réforme réduite à ce seul secteur serait insignifiante par rapport à ce que représentent les TIC aujourd’hui et de la place qu’elles tendent à occuper dans la société de demain. Pour être efficace, encore faut-il que tout projet de réforme soit inscrit dans un cadre allant au-delà des services de télécommunications. Par exemple, en matière de concurrence quelle sera la valeur d’un droit spécifique aux communications électroniques si au niveau national il n’y a pas un droit commun de la concurrence interdisant les monopoles, les concentrations, les ententes et les abus de position dominante. Il en est de même pour la protection des consommateurs, une loi aura d’effet que s’il existe un droit général de la consommation avec une déclinaison dans les communications électroniques. Par ailleurs, la reforme serait insuffisante si elle ne touchait pas les autres secteurs qui utilisent les TIC comme moyens supplémentaires ou canaux de distribution. Dans le commerce électronique, le besoin d’une loi-cadre se fait sentir pour organiser les différentes sphères des activités économiques en ligne (signature électronique, paiement en ligne, etc.). On peut dire autant pour les droits d’auteurs (musique, cinéma, etc.) dont l’Internet constitue l’un des vecteurs de diffusion. La lutte contre la cybercriminalité, la protection des données à caractère personnel et la vie privée des citoyens sont également des secteurs qui doivent être inclus dans un projet de réforme.
Blair CHERY
Juriste, doctorant
Université des Sciences Sociales de Toulouse


Références bibliographiques
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3.-RAPP Lucien: Distribution en réseaux et réseaux de distribution: l’infrastructure peut-elle rester durablement neutre, in Revue Lamy droit de l’immatériel, décembre 2007, no 33, p. 70
4.-TRUDEL Pierre: L’influence d’Internet sur la production du droit, In Le droit international de l’Internet (dir.) CHATILLON Georges ; éd., Bruylant, Bruxelles : 2003, p. 101
5.- SEMIER Rémi et EMRICH Alexander: Les enjeux du streaming, Petites Affiches- 14 mai 2005-N° 96, p.13
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7.- MARTIN Jean: Convergence numérique : un droit spécifique de l’information ? In, Legicom N° 40- 2007/4, p. 46
8.- MARTIN Jean: op., cit. P. 45
9.- RAPP Lucien: op., cit. p. 1014
10.- TABAKA Benoît: Éclaircissement autour des définitions des communications électroniques, in Revue Lamy droit de l’immatériel no 17-06-2006. Voir aussi le projet de loi sur les télécommunications en Haïti (fév. 2008)
www.mtptc.gouv.ht
11.- Dans leur diversité, les libertés économiques recouvrent plusieurs libertés : essentiellement la liberté du commerce et de l’industrie et celle de la concurrence MALAURIE Philippe: Réglementations contraignantes et libertés économiques éd. Larcier, Paris: 2007, p. 130, in «Le marché et l’Etat à l’heure de la mondialisation» (dir.) THIRION Nicolas
12.- LOVELUCK Benjamin: Internet, vers une démocratie radicale, in «Le débat »no 151, Paris: sept.- oct. 2008, p.151
13.- CHEVALLIER, Jacques: Le modèle politique du contrat dans les nouvelles conceptions des régulations économiques, in «Les engagements dans les systèmes de régulation»; Ed. Dalloz, Paris: 2006, p 145.
14.-MOMO Claude: La régulation économique au Cameroun,Revue de la recherche juridique;Aix-en-Provence:2007-2,p 968
15.- Pour construire et maintenir des équilibres dans des secteurs régulés il faut poser des règles de jeu plus ou moins précises,plus ou moins évolutives, in FRISON-ROCHE Marie-Anne: Le droit de la régulation, Dalloz,2001, no7,Chron. p.613
16.- VIVANT Michel in «Mélanges en l’honneur du Pr. Michel GUIBAL» Montpellier :2006, pp. 595-604.
17.- ASSOKO Héraclès Mayé: Thèse soutenue en 2006 à L’Université des Sciences Sociales (Toulouse) et publiée en 2008
18.- La lettre de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) de France No 63 septembre/ octobre 2008.