mercredi 22 juillet 2009

CYBERCRIMINALITE, LEGISLATION EN HAITI: ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

La problématique de la sécurité est au cœur de l’actualité et de la réflexion politiques en Haïti. Pourtant la dimension Internet de cette question demeure largement inexplorée alors que les enjeux (économique, social, culturel, etc.) ne manquent pas. Sans ignorer le poids des formes classiques de la criminalité, aujourd’hui la sécurité nationale peut être aussi menacée (1) par la nouvelle forme de délinquance qui sont les infractions commises via les technologies de l’information et de la communication (TIC). L’objectif dans cet article est de voir si, dans son état actuel, la législation haïtienne est apte à saisir et à traiter toutes les infractions relevant de la cybercriminalité.
1. Si elles sont un facteur de progrès les nouvelles technologies, principalement Internet, ne se développent pas sans comporter de risque. Le risque vient de «l’émergence d’une criminalité nouvelle qui sait utiliser les facilités de la communication virtuelle pour en tirer des effets bien réels (2)». En effet, les criminels saisissent l’opportunité offerte par les TIC pour: pirater les réseaux informatiques, diffuser des images pédophiles et de fausses informations, escroquer, contrefaire, blanchir l’argent sale, s’introduire dans des sites et serveurs des entreprises ou des gouvernements, etc.
2. Aujourd’hui, les activités illicites sont en plein essor sur le Web. Des données chiffrées permettent d’avoir une idée approximative sur l’importance de ces activités sur le réseau Internet. Aux États-Unis, selon un rapport de la FBI (3) ce type de crime avait fait perdre à l’économie américaine plus de 67 milliards de dollars ($) en 2007 et dans le monde les gains annuels (4) des criminels, supérieurs au trafic de la drogue, s’élèveraient à 105 milliards $. Au Japon (5) après une augmentation de plus de 40% des délits sur la toile en 2006, l’archipel a subi en 2007, 15000 attaques de type DoS (déni de service), c’est-à-dire des assaillants qui paralysent le serveur d’une entreprise, puis négocient avec son patron une rançon pour le remettre en service. En France (6), les infractions (escroqueries, abus de confiance, etc.) sur Internet ont augmenté de plus de 104% en un an.
3. Frappée par ce phénomène, (ex: les dernières rumeurs sur Internet sur la faillite des banques haïtiennes démenties par la Banque de République d’Haïti (BRH) et l'association professionnelle des banques -12/03/2009 www.radiokiskeya.com) Haïti ne dispose aucune statistique au niveau national. Pourtant les autorités policières, dans leur conférence hebdomadaire, donnent un bilan chiffré de la lutte contre l’insécurité sans jamais faire le cas de la délinquance sur Internet. Signe d’un «mépris» ou d’une «autre vision» de la sécurité au moment où l’utilisation des nouvelles technologies (Internet, téléphone portable, etc.) sont en nette progression dans le pays et d’autres États (7) font de la lutte contre la cybercriminalité un enjeu de sécurité nationale.
4. De plus en plus utiliser pour qualifier les infractions liées à l'usage des TIC, la notion de cybercriminalité n'a reçu aucune définition communément acceptée. Elle recoupe une multitude de réalités, voire un ensemble d'infractions qu'on classe généralement en deux catégories d'actes. La première touche à la définition des infractions classiques mais transposées dans les TIC: il s'agit du vol de matériels ou de composantes informatiques et de la diffusion sur le réseau numérique des contenus illicites. La deuxième renvoie à de nouvelles infractions liées à la sécurité des réseaux. D'une manière générale «la cybercriminalité fait référence aux activités criminelles qui s'effectuent via les technologies et de l'Internet et à travers le cyberespace (8)». Ce nouvel espace de la criminalité apporte son lot de questions et défis au droit. Pour le droit pénal haïtien la tache se trouve compliquée du fait de la spécificité des infractions sur le Web. En effet, comment ce droit qui fonde sa légitimité sur des frontières territoriales ignorées par Internet peut-il appréhender les infractions dans le cyberespace? Comment la législation haïtienne conçue pour réprimer les infractions traditionnelles peut-elle s’appliquer aux activités criminelles relevant de l’utilisation des TIC? L'application du droit haïtien à ces activités implique au préalable qu'il s'adapte aux caractéristiques du réseau numérique à savoir sa dématérialisation et son ubiquité.
I.- L’adaptation du droit haïtien à la dématérialisation du réseau
5. L’Internet est, par définition, considéré comme un moyen de communication sans aucun doute le plus grand réseau de la société de l'information. Technologiquement, cet outil de communication conduit à la dématérialisation des échanges. Celle-ci se traduit par l’immatérialité des activités sur le Web et la neutralité du support Internet. C’est à partir de ces éléments que le droit haïtien se saisit de la dématérialisation du réseau numérique.
a) L’appropriation de l’immatérialité des activités sur Internet par le droit haïtien
6. Dépouillées de supports physiques les activités exercées sur le réseau numérique sont de nature immatérielle. Mais l’idée d’immatérialité ne constitue pas une exclusivité du réseau Internet. En effet, le droit se trouve également sur ce terrain. Par exemple, le droit haïtien évoque dans ses différentes dispositions (civile, commerciale, etc.) des droits portant sur des choses incorporelles ou des biens immatériels: titres, actions, droits d’auteurs et droits voisins, brevets, dessins et models, marques, etc. Le régime juridique de la propriété intellectuelle donne une base légale à la protection des programmes conçus sur ordinateur (décret-loi du 12 octobre 2005 arts.2 et 3), des brevets (loi du 14/12/1922), des marques de fabrique et de commerce (décret du 28 août 1960). L’adhésion d’Haïti à l’Accord Général sur le Commerce des Services (ADPIC:art 10) intègre dans la législation haïtienne l’obligation de protéger les œuvres numériques en tant qu'oeuvres littéraires en vertu de la Convention de Berne (1971). Dans la constitution (arts.36-39), la protection de la propriété concerne autant les biens matériels et qu’immatériels.
7. Etant protégés par la loi, les infractions relatives aux biens immatériels n’échappent pas au droit pénal. Ainsi, dans le domaine de la propriété intellectuelle toute violation d'un droit protégé constitue un acte de contrefaçon sanctionné par le Code pénal (arts.347-351 C.pén.). Dans ce sens, la mise en circulation d’une œuvre contrefait sur le réseau Internet est punissable (art.54 décret-loi 12 oct. 2005). Par application de la théorie d’équivalence fonctionnelle ce régime de sanction peut être étendue au nom de domaine en vertu de l’article 24 du code de commerce qui interdit aux tiers d’utiliser à l’identique un nom commercial ou d’employer une marque de fabrique dont les éléments constitutifs reproduisent tout ou partie essentielle d’un nom commercial enregistré ou déposé. D’un autre coté, les dispositions du code pénal (art.337) permettent d’avancer que l'utilisation frauduleuse de numéro de carte bancaire en ligne (phishing) constitue une escroquerie puisqu’elle consiste à se faire passer pour le propriétaire de la carte en vue d’acheter ou vider son compte, etc. En résumé, les éléments constitutifs d'une diffamation (arts. 313 à 320 C.pén./arts.16, 18, 22 et 23 décret-loi du 31 juillet 1986), d’une escroquerie, ou d'une contrefaçon ne sont pas différents selon que l'acte est accompli par la voie traditionnelle ou par le biais des TIC.
8. Dans l'univers des TIC «même si Internet garantit un certain anonymat, il permet aussi de tracer les transactions (tous les actes en ligne)... Les traces existent, il faut par conséquent se donner les moyens d'exiger leur conservation afin de pouvoir les mettre à disposition des autorités judiciaires en cas de besoin (9)». C’est le sens de la résolution du Conseil National des Télécommunications (02/07/2008) «Relative à l’obligation (pour les opérateurs) d’identification des abonnés au service de téléphonie mobile» dans le cadre de la lutte contre le kidnapping. En effet, lorsqu’un ravisseur appelle les proches d’un séquestré, il laisse une trace: son numéro de téléphone ou son adresse IP dans le cas d’utilisation d’Internet. Le même principe s’applique pour les images pornographiques qui circulent sur les téléphones portables des élèves à Port-au-Prince (www.haitipressnetwork.com : La pornographie envahit les écoles, 13/02/2009). La police peut avoir accès, dans le cadre de ses enquêtes, à ces traces pour identifier le ravisseur ou retrouver l’auteur des images qui doit faire l’objet de poursuites devant les tribunaux. Ainsi, l’immatérialité qui caractérise les activités faisant usage des TIC ne rend pas impossible leur appropriation par le droit haïtien. Au lieu de l’écarter les nouvelles technologies le renforcent dans sa fonction de protection des citoyens, notamment dans ses activités sur le réseau.
b) La prise en compte de la neutralité du réseau par le droit haïtien
9. Les réseaux numériques, en particulier Internet, renvoient à un ensemble d’infrastructures techniques qui constitue le support sur lequel sont réalisées de nombreuses activités. Un bref parcours dans les textes de loi atteste que le réseau comme support aux activités est déjà présent dans les droits public et privé haïtiens. L'article 2-m du décret-loi du 23/11/2005 portant réforme du statut de la Banque Nationale de Crédit (BNC) présente les nouvelles technologies, notamment l'Internet, comme un moyen pour la BNC d'améliorer sa performance, son efficacité ainsi que l'accès de la clientèle aux produits et aux services bancaires. Bien avant la loi du 24/09/2001 (art. 62) qui parle de réseau d’échanges des informations, le décret-loi du 12 octobre 1977 définit les services de télécommunications comme moyen facilitant les rapports et échanges de communications, d’information et de civilisation. Mais, plus qu’un moyen d’échanges, les réseaux de télécommunications sont devenus avec la numérisation un outil utilisé par les criminels.
10. En matière pénale, il est de principe que la preuve doit être obtenue et produite légalement. Mais la légalité n’exclut pas la diversité des modes de preuve. Dans le code pénal (art.10) la preuve peut être établie par toutes les choses produites par le délit, soit de celles qui ont servie ou qui ont été destinées à la commettre. Lorsqu’une infraction est commise (art.25 Code d’Instruction Criminelle CIC) le commissaire du gouvernement se saisira des armes et tout ce qui paraîtra en avoir été destiné à commettre le crime ou délit, ainsi que tout ce qui paraîtra en avoir été le produit. De son côté, le juge d’instruction (art.73 CIC) peut se transporter d'office dans le domicile du prévenu pour y faire perquisition des papiers, effets, et généralement tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. La généralité qui entoure la preuve (consubstantielle à la liberté) et les procédés de commissions des infractions pourraient couvrir une multitude d’objets en rapport avec les TIC: ordinateurs, disque dur, DVD, CD, logiciels, adresse IP, réseaux de diffusion, etc. Bref tous les instruments dont dispose l’internaute pour réaliser des actes illicites. Ainsi, le crime reste indépendant des moyens utilisés par le criminel puisque les infractions ne sont pas synonymes d'une arme ou d'un support en particulier.
11. À l’évidence, l’utilisation du réseau numérique dans la commission d’une infraction n’affecte pas la nature pénale de l’acte. C’est le principe de neutralité technologique qui pose, d’une part, l’indifférence du réseau au regard des multiples usages qu’on peut en faire et, d’autre part, l’égalité des supports physiques et des supports numériques. Régit par le principe de neutralité technologique, les activités en ligne sont assimilées à celles utilisant les moyens traditionnels. Donc, en matière pénale il n'y a pas une criminalité autonome sur Internet qui se dissocie de la criminalité traditionnelle du fait de l'utilisation des supports électroniques. La cybercriminalité n'est pas un crime spécial mais une nouvelle forme d'expression de la criminalité. Une déclinaison des infractions classiques sur les supports numériques.
12. La référence au principe de neutralité «signifie que, dans la mesure du possible, il convient d’appliquer à l’Internet les règles de droit commun- celles qui n’ont pas été conçues spécifiquement pour lui- en faisant abstraction de ses particularités techniques (10)». Elle enlève également toute idée de vide juridique car «ni l’ignorance des frontières, ni l’avènement du virtuel n’ont pu soustraire l’Internet à la règle de droit (11)». Rappelons que la neutralité concerne le réseau (comme support aux activités en ligne) et non les lois applicables qui ne sont pas dénuées de sens (politique, économique, social). En effet, «chaque règle de droit implique une prise de position (12)» et «aussi technique qu’il soit, le travail du juriste (ou du législateur) offre quelque part, explicitement ou non, une prise de position philosophique (13)».
13. Ainsi, il n’ y a pas lieu d’élaborer un droit spécifique à l’Internet mais d’appliquer le droit existant en fonction du type d’activités en ligne. En Haïti, par exemple, les activités bancaires en ligne sont soumises aux dispositions légales et réglementaires sur le fonctionnement des banques. Le principe de neutralité technologique posé dans le domaine de l'Internet implique l'application de l'ensemble de la législation pénale haïtienne à la cybercriminalité. Mais la nature transfrontière du réseau Internet liée à son ubiquité ne ferait-elle pas obstacle à l’application du droit pénal haïtien ?
II.- L'adaptation du droit pénal haïtien à l’ubiquité du réseau
14. Conçu à partir de l'interconnexion de plusieurs réseaux nationaux ou régionaux l'Internet constitue un réseau mondial. Sur Internet tout ce qui circule est simultanément accessible à tous les internautes, n'importe où sur la planète. C'est l’ubiquité du Web qui donne aux activités en ligne un caractère extraterritorial d’où l’ancrage territorial du réseau numérique. Le territoire sur lequel repose les points de connexion au réseau sert également de cadre d’application du droit pénal haïtien.
a) Internet, nouveau territoire du droit pénal haïtien
15. L’avènement des nouvelles technologies a donné de nouvelles pistes à la criminalité. Profitant de la nature transnationale du réseau les criminels pensent utiliser Internet pour échapper au droit qui traditionnellement fonde sa compétence sur un espace territorial. Cependant, dans la configuration de l’Internet c’est le réseau qui est transfrontière. En effet, sur le Web les actes illicites partent du lieu où s’installe l’auteur de l’infraction pour atteindre des victimes se trouvant dans un territoire quelconque. Si Internet «N’est pas un réseau pensé et conçu dans et pour un territoire (14)», mais «la plupart des activités réalisées en ligne sortent des effets hors ligne, qui se concrétisent sur le territoire de l’un ou l’autre des États dont les territoires couvrent le monde terrestre (15)». Donc, Internet renvoi à une réalité spatiale, territorialisée, il fait partie des moyens dont l’homme dispose dans lequel le territoire joue un rôle important.
16. Comme pour le droit pénal l'impératif territorial pèse sur le réseau. En effet, «Dans l'environnement numérique, l'emploi des termes à connotation géographique, tels que le site, les zones de nommage, les domaines nationaux et supranationaux, les sous- domaines, le portail atteste de la difficulté de concevoir un monde totalement dématérialisé (16)». Internet est par nature inscrit dans un monde virtuel mais s’appuie sur le principe de territorialité, lequel conditionne l’application du droit pénal fondée sur le lieu de commission de l’infraction. Ainsi, le cyberespace ne supprime pas le territoire, «il se superpose à lui..., il créé un territoire augmenté (17)». Avec les TIC les contours de la notion de territoire sont en train de changer parce que d’autres lieux (le cyberespace) viennent s’ajouter à lui. Le cyberespace devient comme le territoire un lieu où des infractions peuvent être commises. «L’espace physique et le cyberespace sont dorénavant indissociables en tant qu’espaces juridiques» (18).
17. En matière pénale une infraction est réputée commise en Haïti dès lors qu’un des faits constitutifs a eu lieu sur le territoire national. S’agissant d’une infraction réalisée à partir d’un site Internet consultable en Haïti, la victime portera son action devant le tribunal de son domicile, en tant que lieu où l’acte illicite est accessible ou localisée par un terminal (ordinateur, téléphone), c’est-à-dire le lieu où le dommage a produit ses effets. Par exemple, l’article 21(décret-loi 31 juillet 1986) dispose que l’action pénale en matière de délit de presse sera portée devant le tribunal correctionnel du délit.... Le lieu du délit est celui où les actes constituant le délit de presse sont accessibles. Il en est de même en cas de renvoi d’images pornographiques sur le téléphone portable d’un mineur vivant en Haïti (section IV C.pén.- art.15-5 décret-loi 31 juillet 1986- la loi du 05/04/2003). En règle générale, la loi pénale haïtienne est applicable comme étant la loi du lieu de l’infraction pour tous les actes illicites commis sur le territoire de la République via les TIC. Si les effets peuvent être ressentis dans plusieurs pays, notamment en Haïti, mais le plus souvent les infractions sur Internet sont le fait des criminels localisés dans d’autres États. D’où le caractère extraterritorial des activités en ligne.
b) L'extraterritorialité, point commun entre le réseau Internet et le droit pénal haïtien
18. Commise sur le réseau Internet, la cybercriminalité est un phénomène qui dépasse les frontières. Avec la révolution technologique les actes illicites sont généralement l’œuvre des criminels établis partout dans le monde. Les éléments constitutifs d’une infraction dans le cyberspace peuvent être localisés dans plusieurs pays. Au printemps 2007 l’attaque informatique visant à rendre indisponible les sites du gouvernement, des opérateurs de téléphonie, des organes de presse et les rumeurs sur la faillite de certaines banques en Estonie venaient de l’étranger selon les experts. Les fameux Spam 234 (Indicatif téléphonique du Nigeria) ou Spam nigérians sont généralement d’origine africaine (dans ces e-mails on invente une histoire d’amour, de gain au loto, d’un héritage d’un grand parent décédé pour en profiter l’internaute doit envoyer le numéro de sa carte bancaire ou faire un transfert d’argent à l’ordre de Mr X ou Mme Y pour les frais de procédure ou décaissement). Les sites de vente illégale et de distribution des œuvres haïtiennes contrefaites (musiques, films, etc.) sont pour la plupart hébergés à l’étranger. Même quant ces éléments sont établis dans des lieux différents mais l’infraction ne vise pas tous les internautes du monde. Sur le Web les criminels ciblent leurs victimes potentielles qui peuvent se trouver dans un territoire étranger, particulièrement en Haïti.
19. A cela la réponse du droit haïtien n’est pas nouvelle pour les crimes dont certains éléments constitutifs se trouvent en dehors du territoire national. La loi du 24 avril 2001 (1.2-F) donne une portée extraterritoriale aux crimes en définissant l'infraction d'origine comme toute infraction même commise à l'étranger. Le CIC (arts.5et7) met également en évidence l’extraterritorialité de la législation en stipulant «que tout haïtien qui sera rendu coupable, hors du territoire d'Haïti d'un crime...sera poursuivi, jugé et puni en Haïti». Cette disposition est aussi valable pour les étrangers auteurs ou complices des mêmes crimes (art.6 CIC) vivant en Haïti ou ailleurs. Celle-ci rejoint l’une des caractéristiques de la théorie de l’ubiquité qui n’exige pas la localisation de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction dans un lieu unique mais simplement l’établissement d’un seul fait. Donc, il suffit qu’un seul fait de rattachement avec le territoire d’Haïti pour donner compétence aux juridictions répressives haïtiennes pour une infraction commise sur Internet alors même que ses auteurs se trouvent à l’étranger. Voyons comment la législation pénale d’Haïti réprime d’autres formes d’infractions en relevant de la cybercriminalité.
III.- Le droit haïtien et la répression de certaines infractions sur le réseau
20. De nos jours la plupart des informations produites et utilisées en Haïti, quelle soit de nature économique, sécuritaire, officielle, etc., se trouvent ou sont conservées sur des supports numériques. Ces données qui sont devenues des biens, au sens du code civil, peuvent faire l'objet d'attaque de la part des pirates informatiques. Les attaques les plus répandues sont les infections par virus ou logiciels espions, l’intrusion dans un système automatique (hacking/backdoors), le vol, falsification et la destruction des données. De nombreux textes existant peuvent aider le juge à réprimer ces infractions. Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol (art.324 C. pén). La soustraction suppose une chose qui peut être appréhendée. Dans les TIC, elle ne renvoie pas à la dépossession mais à une atteinte à la propriété d’autrui qui est la finalité du vol. Donc, dans le cas des données informatiques le défaut de matérialité ne fait pas obstacle à son appropriation frauduleuse. Dans cette optique, le vol peut porter non seulement sur des choses physiques mais également sur des choses incorporelles tels les logiciels (crating), les données, etc.
21. La généralité qui entoure la définition du vol dans le code pénal touche bien évidemment les données, ce qui ouvre la voie à la violation (constitutif d’une infraction) du principe de confidentialité consacré par la constitution (art.49) et les lois de la République. Le décret-loi du 12/10/1977 (arts.7, 8 et 9) pose le principe de l'inviolabilité des correspondances dans les services de télécommunications et la loi du 14/11/1980 (arts.53, 70 et 108 à 117) sur les banques protège la confidentialité de toutes les transactions bancaires (en ligne ou dans les agences). D’un autre côté, l’abus de confiance ne pose pas de problèmes particuliers, les éléments constitutifs de cette infraction dans le code pénal permettent de qualifier certaines conduites sur Internet sans difficulté. En effet, sur le fondement de l'abus de confiance (art.340 C.pén.) le juge peut condamner un employé qui utilise son ordinateur de travail pour faire tout autre chose (détournement de l’outil de travail) qui ne rentre pas dans son contrat de travail (consultation des sites pornographiques ou téléchargement illégal). L’employeur pourrait utiliser ces comportements comme motif de révocation pour violation des clauses du contrat de travail (arts.18, 30 et 42 code du travail).
22. La législation haïtienne comporte également un certain nombre de dispositions qui lui permettent de réprimer l’infraction de blanchiment d’argent (mécanisme utilisé par les criminels pour blanchir des fonds d’origine illicite dans le but d’échapper aux multiples contrôles mis en place par les autorités). En effet, «Internet est un marché électronique et comme chaque marché il constitue un instrument potentiel de recyclage d'argent sale ou de fraudes fiscales (19)». De tels agissements génèrent des rendements financiers énormes qui pourraient entraîner des effets négatifs sur l'économie en général. La loi du 21/02/2001 sur le blanchiment d’argent et le transfert des capitaux consacre une section à la surveillance des transactions en ligne. Cette loi fait partie d’un paquet législatif comprenant notamment les normes de surveillance élaborées par la BRH issues des propositions du comité de Bâle d’octobre 2001 relatives au «devoir de diligence des banques au sujet de la clientèle». Considéré comme une activité criminelle et attentatoire à l'ordre public la lutte contre le blanchiment dans les services financiers est confiée à l'Unité Centrale des Renseignements Financiers (UCREF), aidée dans sa mission par les institutions financières. Celles-ci ont pour obligation de transmettre à l’UCREF (art.2.2.5) les ordres de paiement, les opérations de retraits, de virement, de transferts et sont tenus de se renseigner sur l'origine et la destination des fonds suspects ainsi que l'objet de l'opération.
Perspectives
23. Il est évident que l’utilisation des nouvelles technologies par les criminels n’emmène pas un bouleversement des conditions de fond d’application du droit pénal haïtien. Néanmoins, il reste insuffisant dans les réponses à donner aux différentes formes d’infractions commises sur Internet du fait que la plupart de ses dispositions ont été élaborées dans un contexte antérieur à la révolution numérique. En effet, l’innovation apportée par les TIC donne naissance à des infractions dont les éléments constitutifs ne se trouvent pas dans le cadre légal définit par le code pénal. Par exemple, les infractions relatives à la signature électronique (signature non encore reconnue dans le droit haïtien), au faux en informatique (la dissimulation de la vérité par la manipulation des données informatiques), et à la fraude informatique, (intrusion, avec intention frauduleuse, dans un système informatique pour modifier ou effacer les données qui sont stockées).
24. Avec les TIC la criminalité prend une nouvelle dimension, ouvrant la voie à d’autres formes d’infractions, mais il demeure, malgré ces technologies que ce sont les règles de droit classique qui s'appliquent. Par conséquent, l'erreur à ne pas commettre, dans le domaine des TIC, est de croire que les nouvelles technologies doivent «conduire à la politique de table rase» comme si tout se renouvelle et que la révolution numérique nous amène vers un monde virtuel, merveilleux, vertueux qui supprime le monde réel. Dans le cas de cybercriminalité, la solution ne se trouve pas dans une transformation radicale du régime juridique haïtien mais de préférence dans l'adaptation des dispositions en vigueur.
25. Comme toutes les autres infractions celles en rapport avec les TIC présentent des caractéristiques variées qui appellent à un traitement différencié. Donc, l’adaptation du droit pénal haïtien passe par l’extension de certaines infractions aux TIC et la création de nouvelles formes d’incriminations. Mais le droit pénal haïtien sera efficace dans la lutte contre la cybercriminalité par la mise en place des mécanismes institutionnels et préventifs: la création d’une brigade au sein de la police nationale et d’un organisme au niveau du ministère de la justice, l’information au public, la coopération avec d’autres États (20), et la modernisation de l’arsenal juridique national qui doit prendre en compte les données nouvelles apportées par la technologie numérique dans les différents domaines de la société (commerce, finance, audiovisuel, etc.).
26. Enfin, dans la société d’aujourd’hui, marquée par la mondialisation et les nouvelles technologies, la lutte contre l’insécurité ne se définit plus uniquement en terme de sécurité publique (ordre et paix). Elle se conçoit dans une stratégie de sécurité globale incluant l’économie, les TIC, l’énergie, l’environnement (21), la protection sociale, la défense nationale, etc., car la menace peut venir de toutes parts: de la nature (si on continue à la dégrader ou à polluer), des ennemis et surtout des concurrents. Dans cette stratégie la prospective et le renseignement, en particulier l’intelligence économique, deviennent des éléments indispensables.
Blair CHERY
Juriste, Doctorant
Université des Sciences Sociales de Toulouse

Références bibliographiques
1.- L’attaque par le ver W32 Conflicker de la défense française et de la marine Britannique le 15/16 janvier 2009, In «Libération»: Les armés attaquées par un virus informatique, Paris: 05/02/2009
2.- CHARPENEL Yves: préface, Cybercriminalité (QUEMENER MYriam et FERRY Joël), éd. Economica, Paris: 2007, p.V
3.- Cité par LOVET Guillaume: L’argent sale sur le net: les modèles économiques des cybercriminels, In revue «Défense Nationale et sécurité collective» (DNSC), Paris: mai 2008, p. 37
4.- Mc NIVEN Valérie, conseillère du gouvernement américain sur la cybercriminalité, cité par LOVET G. :op. Cit. p. 37
5.- TEMMAN Michel: Mobilisation contre le cyberterrorisme, In «Libération», Paris: lundi 23 juin 2008, p. 11
6.- Rapport de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication
7.- ROMANI Roger: Cyberdéfense: un nouvel enjeu de sécurité nationale, «In Cahiers de la sécurité» no 6, Paris oct. -déc. 2008 pp.111-117. Aussi, la création par le gouvernement américain d’un commandement militaire de cyberdéfense, juin 2009
8.- QUEMENER Myriam : Cybercriminalité : aspects stratégiques et juridiques, In DNSC, Paris : mai 2008, p. 24
9.- APAYE Agathe: Droit pénal et Internet, In «Actualité Juridique Pénal», Paris : 2005, p. 22
10.- BOURSERIE J.: La nouvelle architecture de la communication, In «Communication commerce électronique», Paris: 2005, chronique no 14
11.-SCHMIDT-SZALEWSKI Joanna:L’Internet ou l’illusion libertaire,«Etudes offertes à Philippe Simler»,Dalloz 2006 p803
12.-NAIM-GESBERT Eric : Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement, éd. Bruylant, Bruxelles: 1999, p 589
13.-CAILLOSSE Jacques: Droit, nature et littoral: ébauche d’une problématique,In Petites Affiches, no1,Paris:02/01/1995,p4
14.-SCHULTZ Thomas: Réguler le commerce électronique par la résolution des litiges en ligne; éd. Bruylant/ LGDJ, Bruxelles /Paris: 2005, p 45
15. - SCHULTZ Thomas: op. cit. p. 137
16.- LEWIS Marc: Le site Internet: de l’incorporel au virtuel, In «AJDI», Paris : 2001, p. 1073
17.- MUSSO Pierre: avant-propos, cyberesp@ce & territoires, In «Quadermi» no 66, Paris: printemps 2008, p. 7
18.-BECHILLON David: Cybercriminalité, In Actualité Juridique Pénale, Paris: 2005 p. 225
19.- Cour des Comptes français: Fraudes sur les prélèvements obligatoires, mars 2007
20.- Les recommandations faites les ministres de la justice de l’organisation des Etats américains (nov. 2007)
21.-FORTUNE Jodany: Quand l'insécurité environnementale nous guette, In «Le Matin» Haïti: 18-19 mars 2009, p. 3

1 commentaire:

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